Encore vingt-quatre heures mortelles! mon ^ame se dechire. Si vous m’avez vu pleurer, comme un enfant, pleurer `a chaudes larmes dans mon lit, et manger mes ennuis en pr'esence des personnes qui me connaissent, peut-^etre que vous n’auriez pas ri de mes tourments; peut-^etre que vous auriez m^eme 'et'e attendrie en me voyant souffrir. Je ne peux ni rien penser, ni rien faire; la pre-mi`ere id'ee, la premi`ere image qui se pr'esente `a mon esprit, c’est toujours vous. Je veux tracer quelques lignes, et c’est votre portrait que je vois sur le papier, je veux articuler quelque phrase, et c’est votre nom que je prononce in-volontairement: je me tais, je r^eve et je ne r^eve que vous.
J’ai fait, dans la nuit d’hier, un r^eve qui semble pronostiquer ma future destin'ee. D’abord c’est toujours votre image qui m’avait apparu: elle planait au-dessus de ma t^ete, elle avait quelque chose d’incorporel, elle 'etait entour'ee d’une clart'e c'eleste. Ensuite j’ai vu qu’on me mariait `a feue ma m`ere. Un froid mortel a coul'e dans mes veines, je me suis 'eveill'e en sursaut et j’essuyai la sueur mortelle qui inondait mon visage. J’ai cru lire dans le livre du destin: c’est vous. Madame, oui, c’est vous qui ne tarderez pas de me marier `a la mort. Ne croyez pas que je vous en accuse, c’est mon sort, c’'etait 'ecrit l`a-haut o`u peut-^etre m^eme avant que j aie commenc'e d’exister. C’est l`a qu’il 'etait prescrit que je devrais ^etre un jour entra^in'e par un charme irr'esistible, entra^in'e sous les lois d’une femme incomparable, que dis-je? d’une divinit'e `a qui je sacrifie tous les pulsations de mon coeur, tout le souffle de ma vie, et qui devrait me payer d’une indiff'erence, d’une froideur, qui opprime le coeur malheureux et qui abreuve mes jours d’une amertume de la mort.
Ma pauvre t ^ete s’'egare, c’est un 'etat d’exaltation, c’est une fi`evre lente que j’'eprouve. Je ne peux plus 'ecrire, je peux pleurer.
Pardon, Madame, si j ’ose Vous d'eceler une partie de ce trouble de mon ^ame, de ce d'erangement de mes id'ees… Oh! qu’il m’est doux de pouvoir dire encore