— Comme je m’ennuyais à me promener tout seul dans ces tristes rues, par ce triste dimanche, je suis rentré pour dormir et je me suis couché sur mon lit, mais je n’ai pas dormi ; ton père, accompagné d’un gentleman, est entré dans la remise et j’ai entendu leur conversation sans l’écouter : « Solide comme un roc, a dit le gentleman, dix autres seraient morts, il en est quitte pour une fluxion de poitrine ! » — Alors croyant qu’il s’agissait de toi, j’ai écouté, mais la conversation a changé tout de suite de sujet. — « Comment va votre neveu ? demanda ton père. — Mieux, il en échappera encore cette fois, il y a trois mois, tous les médecins le condamnaient ; sa chère mère l’a encore sauvé par ses soins : ah ! c’est une bonne mère que madame Milligan. » — Tu penses si à ce nom j’ai prêté l’oreille. — « Alors si votre neveu va mieux, continua ton père, toutes vos précautions sont inutiles ? — Pour le moment peut-être, répondit le monsieur, mais je ne veux pas admettre qu’Arthur vive, ce serait un miracle, et les miracles ne sont plus de ce monde ; il faut qu’au jour de sa mort, je sois à l’abri de tout retour et que l’unique héritier soit moi, James Milligan. — Soyez tranquille, dit ton père, cela sera ainsi, je vous en réponds. — Je compte sur vous, » dit le gentleman. Et il ajouta quelques mots que je n’ai pas bien compris et que je te traduis à peu près, bien qu’ils paraissent ne pas avoir de sens : « À ce moment nous verrons ce que nous aurons à en faire. » Et il est sorti.
Ma première idée en écoutant ce récit fut de rentrer pour demander à mon père l’adresse de M. Milligan, afin d’avoir des nouvelles d’Arthur et de sa mère, mais je compris presque aussitôt que c’était folie : ce n’était point à un homme qui attendait avec impatience la mort de son neveu qu’il fallait demander des nouvelles de ce neveu. Et puis, d’un autre côté, n’était-il pas imprudent d’avertir M. Milligan qu’on l’avait entendu ?
Arthur était vivant, il allait mieux. Pour le moment il y avait assez de joie pour moi dans cette bonne nouvelle.
Chapitre 18
Les nuits de Noël
Nous ne parlions plus que d’Arthur, de madame Milligan et de M. James Milligan.
Où étaient Arthur et sa mère ? Où pourrions-nous bien les chercher, les retrouver ?
Les visites de M. J. Milligan nous avaient inspiré une idée et suggéré un plan dont le succès nous paraissait assuré : puisque M. J. Milligan était venu une fois cour du Lion-Rouge il était à peu près certain qu’il y reviendrait une seconde, une troisième fois ; n’avait-il pas des affaires avec mon père ? Alors quand il partirait, Mattia, qu’il ne connaissait point, le suivrait ; on saurait sa demeure ; on ferait causer ses domestiques ; et peut-être même nous conduiraient-ils auprès d’Arthur ?
Pourquoi pas ? cela ne paraissait nullement impossible à nos imaginations.
Ce beau plan n’avait pas seulement l’avantage de devoir me faire retrouver Arthur à un moment donné, il en avait encore un autre qui, présentement, me tirait d’angoisse.
Depuis l’aventure de Capi et depuis la réponse de mère Barberin, Mattia ne cessait de me répéter sur tous les tons : « Retournons en France » ; c’était un refrain sur lequel il brodait chaque jour des variations nouvelles. À ce refrain, j’en opposais un autre, qui était toujours le même aussi : « Je ne dois pas quitter ma famille » ; mais sur cette question de devoir nous ne nous entendions pas, et c’étaient des discussions sans résultat, car nous persistions chacun dans notre sentiment : « Il faut partir. » — « Je dois rester. »
Quand à mon éternel « Je dois rester », j’ajoutai : « pour retrouver Arthur », Mattia n’eut plus rien à répliquer : il ne pouvait pas prendre parti contre Arthur : ne fallait-il pas que madame Milligan connût les dispositions de son beau-frère ?
Si nous avions dû attendre M. James Milligan, en sortant du matin au soir comme nous le faisions depuis notre arrivée à Londres, cela n’eut pas été bien intelligent, mais le moment approchait où au lieu d’aller jouer dans les rues pendant la journée, nous irions pendant la nuit, car c’est aux heures du milieu de la nuit qu’ont lieu les
— Si tu savais comme j’ai envie que tu retrouves madame Milligan, me dit un jour Mattia.
— Et pourquoi donc ?
Il hésita assez longtemps :
— Parce qu’elle a été très-bonne pour toi.
Puis il ajouta encore :
— Et aussi parce qu’elle te ferait peut-être retrouver tes parents.
— Mattia !