Robic réfléchissait sur la route de retour de Saint-Malo. L’idée d’exiger la sortie de Gilles avec immunité sous peine de représailles mortelles lui semblait aussi audacieuse qu’excellente. Avec une simple balle dans le bras en guise de premier avertissement ce soir. Deux premières attaques avec blessures, puis la mort s’il n’était pas obéi. Ceci pour donner du temps à l’opinion et aux médias de se mobiliser. Le ministre de l’Intérieur pouvait-il se permettre de perdre un homme aussi renommé et presque unanimement apprécié qu’Adamsberg ? D’être accusé d’avoir sacrifié le commissaire pour la gloire d’avoir arrêté un seul assassin ? Cela ne lui semblait pas probable. Après les deux premières blessures, il céderait sans doute et négocierait. Obtenir l’immunité de Gilles était une chose, mais lui, Robic, avait décidé de la mort d’Adamsberg. Ce type était sur ses traces et il ne s’arrêterait pas là, il en était persuadé. Et rien ne l’empêchait de le faire descendre, même après la libération de Gilles.
Ainsi, sa résolution était prise et bien prise. Il passerait un appel au commissaire quand le groupe serait rassemblé devant l’auberge. Adamsberg s’éloignerait un peu pour entendre et, une fois le flic isolé, son homme tirerait. Il devait informer le Prestidigitateur du changement de programme : tirer quand Adamsberg s’écarterait des autres et ne lui infliger qu’une blessure au bras, assez légère pour qu’il soit sorti de l’hôpital le lendemain. Ne restait plus qu’à préparer son message au commissaire. Mais il ne l’enverrait pas ce soir, où ils auraient tôt fait de l’encercler d’une haie de gardes du corps. Demain. Demain car ce ne serait qu’après la blessure au bras que le message serait crédible. Ils mettraient bien sûr en place un dispositif de sécurité autour de lui mais il méditait déjà son plan pour contourner cet obstacle de taille. Pour ce tir, il changerait d’homme et prendrait le Joueur, qui avait commencé sa carrière dans le cirque comme gymnaste, contorsionniste, sauteur, équilibriste, toutes performances pour lesquels son corps mince était spectaculairement doué.
Il se gara sur le bas-côté et prépara son message à l’avance :
Très bien, pensa Robic. Classique, mais efficace en diable.
Les huit policiers, après leur copieux dîner chez Johan, discutaient encore des événements de la journée dans la rue, devant le pas-de-porte de l’auberge. Adamsberg s’éloigna de deux mètres pour prendre l’appel d’un numéro inconnu. Un coup de feu éclata et le commissaire porta la main à son bras en se pliant en deux. Le sang coulait abondamment, il y eut un moment de panique dans la troupe et seuls Veyrenc et Matthieu avaient gardé assez de présence d’esprit pour tenter de repérer le tireur. Un homme s’éloignait en courant, et à vive allure. Il était déjà à plus de trente mètres d’eux quand les deux policiers le prirent en chasse.
— Dessus, Retancourt, dessus ! cria Adamsberg comme on lance son chien de chasse sur un sanglier.
Retancourt n’avait pas attendu l’ordre de son chef et elle arrivait déjà à la hauteur de Matthieu et Veyrenc.
— Partis trop tard, dit Veyrenc en soufflant, on ne l’aura pas, il court plus vite que nous.
— On l’aura, dit Retancourt, mais donnons-lui du temps. Un complice l’attend forcément quelque part. Mieux vaut en choper deux qu’un seul.
Le lieutenant dépassa les deux policiers et réduisit de beaucoup l’écart entre elle et le tireur, bien visible dans le clair-obscur. De passages en ruelles, l’homme aboutit à un chemin de terre où stationnait une voiture, tous feux éteints. Retancourt adressa un signe du bras à ses deux collègues et passa à la vitesse supérieure. Ni Matthieu ni Veyrenc ne parvenaient à la rejoindre. Le tireur se retourna sans cesser de courir et fit feu sans atteindre sa poursuivante qui lui tomba sur le dos et l’écrasa à terre sous son poids tout en lui ôtant son arme. Elle visa la voiture aux pneus et en fit éclater trois. Allongée au sol, bien installée sur le corps du tireur qui se démenait inutilement, elle fit éclater le pare-brise arrière puis le rétroviseur avant. La balle passa assez près du conducteur pour lui faire quitter sa voiture et rouler à plat sur le chemin, bras tendu. Retancourt attendait ce mouvement et lui tira dans la main avant qu’il ait eu le temps de lever son cran d’arrêt. Deux secondes de décalage. Entre-temps, Matthieu et Veyrenc avaient rallié leur collègue qui menottait le tireur.