— Et cela, cria Matthieu en doublant dangereusement un camion, c’était notre boulot de le prévoir ! Que s’est-il passé, merde ?
— Cette sacrée omnubilation, Matthieu. Ça arrive à tout le monde et même aux meilleurs flics, mais dans tous les cas, ça rend con, comme tu as dit.
— L’
À vingt mètres du corps, la vue du cadavre de Robic, telle une masse sanglante, s’annonçait difficile et ils s’en approchèrent à pas lents. Un couteau était planté dans le poumon, mais le corps était couvert de quantité de blessures, bien plus nombreuses que celles qu’avait reçues la psychiatre. Les jambes même ne semblaient pas avoir échappé au massacre, pas plus que les bras ni les yeux, crevés tous les deux.
— En tout cas, dit Matthieu d’une voix ensommeillée, ce n’est pas l’œuvre du tueur de Louviec. Un grand couteau de cuisine, mais pas un Ferrand, pas d’œuf dans le poing, des blessures multiples.
— J’ai déjà vu bien des corps mutilés, dit le médecin légiste, par des assassins au paroxysme de la fureur, mais cela choque toujours. On ne peut rien savoir avant d’avoir nettoyé le sang, mais il a été frappé quelque quarante fois. Les blessures non létales, aux jambes, aux bras, au visage, ont été infligées avant le dernier coup mortel au cœur. Pour le faire souffrir, sans aucun doute.
— À quelle heure estimez-vous son décès ?
— Hier soir, probablement avant le crépuscule, mais quand ? Donnez-moi l’heure à laquelle il a pris son dernier repas dès que possible. J’appelle une ambulance.
— L’assassin devait être couvert de sang, dit Matthieu.
— Sûrement. Mais il n’a pas été loin pour se changer. À peu près là, dit Adamsberg en montrant à un mètre de la tête un cercle piétiné, semé de gouttes de sang, bien plus abondantes que d’habitude. Cette fois, il devait avoir pris soin de couvrir ses habits et d’emporter un sac.
— Une crise de fureur ne se prémédite pas, dit Matthieu.
— Mais elle peut jaillir en une heure, une fois la décision prise. Il y avait des invités hier soir ? demanda-t-il au jardinier qui, sans consigne, était resté piqué à son poste.
— Une flopée, dit le jardinier. Quand je suis parti à dix-neuf heures, il y en avait bien déjà trente-cinq.
Matthieu allait et venait le long des murs qui encadraient la face arrière de la grande maison. Depuis le mur nord, il fit signe à Adamsberg.
— Il est entré et ressorti par le tunnel. Regarde, la serrure a été forcée et les ronces sont piétinées devant la porte.
Matthieu et Adamsberg revinrent rapidement vers le médecin, prêt à faire embarquer le corps dans une ambulance.
— Donnez-nous le temps de le fouiller d’abord, demanda Adamsberg.
Les deux commissaires, aidés de Retancourt et Berrond, s’attaquèrent à cette tâche nauséeuse et sortirent sur l’herbe des clefs, de l’argent de poche et un portable ensanglanté. On trouverait le reste de son équipement dans un sac, prêt à partir.
— Quelqu’un a-t-il des mouchoirs en papier ? demanda Adamsberg.
— Moi, dit le docteur.
— Merci, dit le commissaire en changeant de gants pour essuyer comme il le pouvait le téléphone, puis l’allumer et le tester. Il fonctionne encore, dit-il en le tendant vers Mercadet qui se tenait un peu loin de la scène. Lieutenant, je ne trouve pas ses messages d’hier, envoyés ou reçus. Tous effacés. Vous pouvez les récupérer ?
Mercadet hocha la tête et se mit à l’œuvre.
— C’est le tueur de Louviec qu’a fait ça ? demanda le jardinier.
— Qu’est-ce qui vous le fait croire ?
— Ben la façon. Le grand couteau planté dans le cœur, et puis laissé dans la plaie. S’il commence à s’attaquer à Combourg, on n’a pas fini.
— Qu’est-ce que vous pensiez de votre patron ? poursuivit Adamsberg.
— Rien de bon, mais faut pas dire du mal des morts. Mais ce qui lui est arrivé, on peut pas dire que ça m’étonne.
— Et pourquoi ?
— Il était pas apprécié, c’est tout, et y en avait qui le détestaient.
— Vous, par exemple ?
— Aussi. Il prenait à peine le temps de me saluer, j’étais qu’une chose à ses yeux. Mais il payait bien, ou se fendait des fois d’une politesse. Pour s’assurer de notre docilité.
— Et avec sa femme ? Cela se passait comment ?
— Oh, avec elle, c’était la guerre. Un jour que je travaillais aux rosiers jaunes, je les ai entendus s’engueuler. La fenêtre était ouverte, j’allais pas me boucher les oreilles.
— Qu’est-ce qu’ils se disaient ?