— Ne vous en faites pas. Donnez-moi un numéro où je peux vous joindre, dit Adamsberg en lui tendant une carte de visite chiffonnée qui traînait dans sa poche.
XLV
Les huit derniers policiers s’installèrent autour de la table où Johan avait servi le café en abondance, un petit verre de cognac pour Verdun, et des plateaux de ses biscuits secs faits maison.
— Pourquoi j’ai du cognac ? demanda Verdun.
— Parce que je vous trouve vert, lieutenant. C’était si dur que cela ?
— Pire que ce que tu peux imaginer, dit Adamsberg. L’assassin s’est déchaîné sur Robic.
— Si je comprends bien, mais vous êtes pas obligés de me répondre, c’est le tueur de Louviec qui a massacré Robic ?
— Ce n’est pas ce que pense Matthieu, dit Adamsberg.
— Mais si Robic a tué sa femme avant, c’est qu’il avait projeté de s’en aller la nuit même ?
— Précisément.
— Rapide comme un lièvre, dit Johan. Au fond, c’est ce que redoutaient Maël et Josselin hier. Qu’il disparaisse en deux temps trois mouvements.
— Si on était venus l’arrêter le soir même, mais avant vingt heures, il serait encore en vie, dit Adamsberg, et sa femme aussi.
— Je comprends, dit Johan. Il serait en vie mais bouclé. Et tu connais le sort que les prisonniers réservent aux tueurs d’enfant. Parce que ça finira par se savoir.
— Fais en sorte que ce soit le plus tard possible.
— Pourquoi ?
— Pour laisser le temps à ta petite de se remettre.
Le légiste appela et Adamsberg enclencha le haut-parleur.
— L’arme diffère, dit le médecin, et les coups ont été portés de la main droite et sans dévier.
Matthieu eut un léger sourire, qui n’échappa pas à Adamsberg. Le commissaire de Rennes triomphait.
— Quant au reste, commissaire, continua le légiste, outre les yeux, j’ai décompté trente-neuf blessures. De l’acharnement. Mais c’est bien le deuxième coup au cœur qui l’a achevé, sans doute entre vingt et une heures et vingt et une heures trente. Pour la femme, un étranglement classique, avec des mains vigoureuses, probablement autour de vingt heures, sans certitude. Cependant, et pour vous faire plaisir, j’ai examiné Robic sous toutes les coutures après qu’il eut été lavé. Et il avait trois piqûres de puces, toutes récentes. Aucune trace plus ancienne. Ce qui, je dois l’avouer, me laisse perplexe. Aucune sur sa femme.
— Merci, docteur.
Le sourire de Matthieu s’était effacé mais il secoua de nouveau la tête.
— Impossible, affirma-t-il en fixant Adamsberg. Ce doit être leurs chiens qui ont des puces.
— Et il n’aurait pas de trace de piqûre ancienne ? Seulement ces trois-là ?
— Ce sont leurs chiens, répéta fermement Matthieu.
— Vérifiez dès maintenant, dit Adamsberg. Appelez les domestiques.
Le maître d’hôtel en charge des chiens fut scandalisé par la question de Matthieu, comme si le commissaire portait gravement atteinte à son honneur.
— Mes chiens ? s’indigna-t-il. Des puces ? Et pourquoi pas des tiques et des vers intestinaux tant que vous y êtes ? Sachez pour votre gouverne, commissaire, que les chiens sont traités et toilettés plus que nulle part ailleurs et leurs niches désinfectées. Et que personne ici n’a jamais été piqué. C’est mon travail et je l’exécute mieux que personne. Sans jamais le confier à quiconque.
Matthieu mit quelque temps à calmer la colère du maître d’hôtel avant de raccrocher.
— D’accord, concéda-t-il, il s’agit du tueur de Louviec. Mais en ce cas, pourquoi ne pas déposer un œuf ?
— Peut-être parce qu’il n’en avait pas, tout simplement, dit Verdun. N’oublions pas que dans le cas Robic, il a dû faire vite, extrêmement vite. Ce fut presque un meurtre imprévu, car depuis sa mise en liberté provisoire, il apparaissait certain que Robic s’enfuirait et serait hors d’atteinte.
— Admettons, dit Matthieu. Mais pourquoi ne pas avoir utilisé son quatrième couteau ?
— Comment cela ? demanda Berrond.
— Pour l’assassinat de Gaël, résuma Matthieu, il a utilisé le couteau volé à Josselin. Puis il en a acheté quatre à Rennes. Ils étaient réservés à Anaëlle, au maire, à la psychiatre et au docteur. Là devait donc s’achever son parcours criminel. N’est-ce pas ?
— Si l’on veut, dit Adamsberg sans conviction. Il a très bien pu ne trouver que quatre couteaux à acheter à Rennes, et encore, avec des rivets argentés. Mais ratisser les quincailleries de la ville pouvait éveiller les soupçons. Il s’en est donc tenu à ses quatre armes, remettant la suite éventuelle à plus tard.
— Si suite il devait y avoir, dit Matthieu. En tout cas, le cordon de sécurité autour du centre-ville l’a empêché d’atteindre le docteur et il a délégué la tâche à la bande de Robic.
— Il lui restait donc un couteau Ferrand, compléta Adamsberg. Un couteau destiné à tuer, mais inutilisé. Un couteau qui attendait son heure, pourrait-on dire. Pour le meurtrier, ce n’était plus du tout un couteau ordinaire. Qu’est-ce qu’il y a vu ? Un sens ? Un signe ? Lequel ? Que son œuvre n’était pas achevée ? Qu’il manquait une victime à son tableau d’honneur ? Que la purification n’était pas totale ? Oui, il le savait.