Читаем Sur la dalle полностью

— C’est bizarre, dit Maël, parce qu’hier, après vous avoir laissés, j’étais toujours pas tranquille et même pas capable de me concentrer sur mes chiffres. Fallait que je voie ce qu’il trafiquait. Il y avait encore une de leurs foutues fêtes dans sa baraque, le portail était grand ouvert et je suis rentré comme une fleur, avec mon plus beau costume. Je me suis planqué derrière le grand hortensia qu’était déjà bien en feuilles, à l’angle de la maison. Comme ça je pouvais avoir un œil sur Robic, côté sud et côté nord. Je pensais pas au tueur, je pensais aux manigances de Robic. J’y étais, disons, vers vingt heures quarante-cinq. Et j’ai vu personne arriver par le tunnel. Mais le tueur était peut-être déjà sur place. Un type est passé devant moi, ça aurait pu être n’importe quel invité, mais il se tenait tête baissée et regardait sans cesse en arrière. Je suis sorti de mon massif et je l’ai suivi et, une fois encore, on est sortis par le portail comme une fleur. Comme deux fleurs. Il ne regardait plus derrière lui, il a mis un sac dans le coffre et il s’est installé dans sa voiture. Tu t’es gouré, Maël, je me suis dit, c’était un invité qu’avait pas envie de dire au revoir à tout le monde.

Durant le récit de Maël, Adamsberg faisait rouler sous sa paume un bouchon de liège qu’il avait empoché, parce qu’il portait un mauvais portrait à l’encre grasse de Chateaubriand. Le vrai. Un souvenir, en quelque sorte. Puis il rattrapait le bouchon, le faisait tenir en équilibre sur une face, puis sur une autre, et reprenait son manège en le faisant glisser lentement sous sa main. Le commissaire ne semblait attentif qu’à ce petit jeu, indifférent aux propos de Maël, au point que tous les regards finirent par se river sur cette main et ce bouchon, et que le silence s’installa peu à peu, semblant se caler sur celui d’Adamsberg. Matthieu l’avait déjà vu une fois se livrer à ce manège machinal et y décelait le signe d’une invisible et grave préoccupation.

— Mais au cas où, finit par reprendre Maël, j’ai pu relever les trois premières lettres de sa plaque. RSC. Je me suis dit que ça pouvait peut-être vous intéresser parce que…

— Arrête ton baratin, Maël, dit Adamsberg d’une voix calme, stoppant net le mouvement de sa main, ramassant le bouchon et le fourrant négligemment dans sa poche.

— Comment ? dit Maël, aussi surpris que les autres membres de l’équipe. Ça vous intéresse pas d’avoir un numéro de plaque ?

— J’ai dit : arrête ton baratin, Maël.

— Mais quel baratin ? dit Maël en reposant son verre.

— Tout cela, ton hortensia, ton homme qui passe, la voiture, la plaque. Enfin, tout.

— Bon, dit Maël, boudeur, en croisant les bras. Si vous voulez rien savoir, après tout ça vous regarde. N’empêche que d’après les horaires qu’ils disent dans le journal, le type que j’ai vu sortir, c’était peut-être bien le tueur.

— C’est impossible, dit Adamsberg.

— Et pourquoi ?

— Parce qu’on connaît le tueur.

— Vous le connaissez ? s’écria Maël.

— Oui.

— C’est certain, ça ?

— Certain.

— Alors qui est-ce ? s’énerva Maël. Qui est-ce ?

Adamsberg resta muet, faisant cette fois tourner le pied de son verre sur la table dans un silence de plomb.

— Mais qui c’est ? insista Maël. Pourquoi vous voulez pas me dire son nom ?

Adamsberg but une gorgée d’eau et reposa son verre sans un bruit.

— Mais parce que c’est toi, Maël, dit-il doucement.

<p>XLVI</p>

Tous fixaient Adamsberg, hébétés, incrédules. Maël était si stupéfait qu’il en avait la bouche ouverte. Il reprit la parole après quelques minutes d’un pesant malaise.

— Mais vous blaguez, commissaire, ou vous avez perdu l’esprit. Moi ? Moi ? Le tueur de Louviec ?

— Toi.

— Je vous ai toujours trouvé bizarre, commissaire, et même des fois, ahuri. Mais cette fois, je porte plainte, dit Maël en se levant, plantant ses gros poings sur la table.

— Rassieds-toi, dit Adamsberg avec calme. Tu porteras plainte plus tard, quand j’aurai fini de m’expliquer.

Le regard d’Adamsberg fit le tour de ses collègues et ne rencontra que des visages sceptiques, embarrassés, inquiets, à l’exception de celui de Veyrenc. Il les comprenait. Lui-même avait mis tant de temps avant que sa pensée ne se resserre sur Maël.

— À vrai dire, dit-il en se levant – à présent sans béquille –, non pour donner un cours magistral mais parce qu’il supportait mal de rester trop longtemps assis, je ne peux pas vous exposer point par point comment j’en suis venu là, car il s’agissait d’une nuée de points, ni logique, ni cohérente, et non pas de points gentiment rangés en ligne. Les éléments étaient dispersés, insaisissables parfois, ou incompréhensibles.

— Les idées vagues, murmura Matthieu.

Adamsberg approuva de la tête.

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