Читаем Sur la dalle полностью

— Et vous avez trouvé, dit Mercadet, qu’il arrive, très rarement, qu’un embryon se fixe sur un autre embryon et s’y développe en partie. Cela peut être n’importe où sur le futur enfant, sur son front, dans l’abdomen, sur son dos. Et en effet, il s’agit d’un jumeau. Une fois l’enfant né, le fœtus inachevé qu’il porte en lui, inaperçu à la naissance, peut croître durant des années, permettant l’apparition de fragments d’un crâne, de cheveux, d’éléments de torse, de fractions de membres. Ce fœtus incomplet, non viable, peut prendre l’aspect d’une bosse à l’endroit où il s’est fixé, et donner une impression assez solide au toucher.

— C’était bien cela, Maël ? dit Adamsberg. Et ce jumeau inachevé, tu t’y es fébrilement attaché. À quel âge as-tu appris que tu portais un frère, et non une bosse ? Onze ans ? Treize ans ? Et c’est pour cela que tu ne tolérais pas qu’on frappe ta « bosse ». Car pour toi, chaque claque abîmait ton jumeau et risquait de le tuer. C’est de cela qu’a parlé le maire : d’une imposture. Faire croire à tous que tu étais bossu alors qu’il s’agissait de tout autre chose. Pourquoi n’as-tu jamais dit la vérité ? On avait dû t’expliquer maintes fois dans ta jeunesse que ce jumeau pouvait se mettre à dépérir, provoquer alors une infection et te faire mourir, toi. Et tes parents, qui t’aimaient, voulaient à toute force te faire opérer. Mais toi, tu l’as toujours refusé avec la dernière énergie. Ce jumeau, tu le garderais, envers et contre tout. Et tu l’as gardé. Et il était hors de question que quelqu’un sache la vérité : d’abord parce qu’on te regarderait comme une bête curieuse, bien plus qu’on ne le fait d’un bossu, ensuite parce que nul ne te laisserait en paix avant que tu ne te défasses de ce jumeau menaçant, ou plutôt, pardonne-moi, de ce fragment de jumeau. Et cela, non. C’était bien plus que ton compagnon, c’était ton double. Sa conservation était devenue à ce point obsessionnelle que la terreur de le perdre à cause des claques que lui donnaient les autres te rendait fou. Les fortes tapes répétées de Gaël surtout, qui, selon sa nature de provocateur, pouvait t’en administrer dix dans la soirée. C’était le roi des claqueurs. Anaëlle aussi, avec sa nature vive, impulsive, très cordiale, tapait sans retenue sur ta bosse chaque fois qu’elle te rencontrait. Très souvent, car vous vous croisiez presque tous les jours en allant au travail. Le maire de même, aux gestes toujours vigoureux, qui voulait par cet acte te témoigner sa sympathie. Les autres, dans l’ensemble, pour ce que j’ai pu en observer, agissaient beaucoup plus doucement, par un effleurement, une caresse, et tu ne les craignais pas. Je tiens ces renseignements de Josselin, qui m’a répondu sans comprendre le sens de mes questions. Car pour ma part, je ne t’avais vu bossu qu’un seul soir. Restait le médecin, qui avait palpé cette bosse et ne s’y était pas trompé. Il en avait parlé à sa collègue, la psychiatre, et tous deux voulaient te convaincre à toute force de te faire opérer. Elle était donc dans le camp ennemi, comme le docteur Jaffré. Non pas parce qu’ils te tapaient, mais parce qu’ils savaient.

Et puis est arrivé ce qui devait arriver : l’embryon est mort, et a provoqué une septicémie qui aurait pu t’emporter en un ou deux jours. Le docteur t’a emmené de force dans une ambulance avec lui. Avec ta fièvre, tu n’étais pas en état de lui résister. Le jumeau t’a été enlevé à l’hôpital de Rennes, ce qui t’a sauvé la vie.

Plié en deux sur lui-même, prostré, les bras serrés, Maël ne disait pas un mot mais on voyait qu’il écoutait sa propre histoire avec intensité.

— Et c’est cette perte qui a été l’élément déclencheur de tes meurtres. Mais avant, déjà, ta colère montait, et tu as joué au Boiteux dans les rues du village, pour « emmerder les gens », selon tes mots, c’est-à-dire les effrayer.

Maël baissa plus encore la tête.

Перейти на страницу:

Похожие книги