— Qu’entends-tu par « purification » ? demanda Matthieu.
— Une purge, une épuration, une élimination de tout ce qui avait causé son malheur. Il avait donc choisi des figures emblématiques de ses tourmenteurs. Il lui manquait la pièce maîtresse, il en était conscient, mais il n’avait pas envisagé de s’y attaquer. Trop difficile, trop risqué, et surtout trop parlant. Mais l’existence imprévue de ce dernier et précieux couteau le défiait, et il l’a malgré tout conservé pour le jour où une faille lui offrirait l’occasion d’achever son parcours. C’est pourquoi il a utilisé un couteau ordinaire pour assassiner Robic, qui n’était qu’une aubaine de plus que lui offraient les circonstances, un trophée supplémentaire à ajouter à sa liste.
— Liste dont on exclut Anaëlle, dit Matthieu, éliminée pour nous lancer sur une piste erronée.
— Peut-être, Matthieu, mais pas complètement. La disparition d’Anaëlle a son rôle à jouer là-dedans. Mais prenons Josselin par exemple, dont nous savons qu’il est un homme malheureux, en quelque sorte privé de son identité réelle. Et donc un homme qui pourrait faire payer les participants actifs à la malédiction qui pèse sur son nom et son visage, un homme qui pourrait les tuer pour alléger son fléau. C’est juste un film, Johan. La dernière phrase de Gaël l’accuse. De même que son couteau et son foulard sur le corps d’Anaëlle. Nous avons rejeté ces indices, car trop nombreux, trop voyants. Supposons qu’on ait eu tort. Le maire, qui croyait bien faire en ne pensant qu’à la prospérité de Louviec, était une figure type de ce qui oppressait Josselin : il le protégeait et le logeait, mais avec, en contrepartie, le devoir d’accepter le rôle du vrai vicomte envers les touristes et de se laisser photographier à leurs côtés. Ils étaient peu, ceux qui le traitaient normalement, sans jamais songer à son ascendance pas plus qu’à sa ressemblance inouïe avec l’aïeul. Johan était de ceux-là. Mais pas Gaël, qui s’amusait à le provoquer sur un des points douloureux en l’appelant sans cesse « vicomte ». Et il n’était pas le seul, loin de là, à lui donner ce titre. Mais il ne pouvait pas tuer tout Louviec, n’est-ce pas ? Il est possible qu’il ait ressenti chez Anaëlle, chez la psychiatre, chez le docteur, une considération respectueuse qu’il ne pouvait pas endurer. Et qu’il ait tué ces gens pour briser l’imposture qu’ils lui faisaient vivre. Quant à Robic, il avait un compte personnel à régler avec lui depuis son enfance, ses années de collège, de lycée. C’est déterminant, l’enfance, et elle peut expliquer à elle seule l’acharnement dont Robic a été victime.
Johan s’agitait, prêt à venir au secours de Josselin.
— C’est juste un film, Johan, répéta Adamsberg.
— Et l’œuf là-dedans ?
— Si l’on continue le film, l’œuf pourrait représenter tout le fardeau que lui faisait porter son ascendance, et dont il ne voulait pas. Il faisait écraser par ses victimes cette ascendance qu’ils avaient honorée, ou exploitée.
L’auberge se remplit dès midi et demi. Tous les habitués tenaient à la main une courte feuille spéciale publiée en hâte par
— Ils ont fait vite, dit Matthieu. Alors même qu’on est un dimanche. Comment l’ont-ils su ?
— Les voitures de police autour de la propriété ce matin, dit Adamsberg. Quelqu’un aura prévenu
— De quel point de vue ?
— Du tueur de Louviec. Bonne chose car j’ai été contacté par le ministre de l’Intérieur, fou furieux d’apprendre que nous avions laissé Robic en liberté. J’ai menti, dit que nous le tenions bel et bien sous surveillance
— Non. J’avais choisi des hommes que je connais, triés sur le volet. Ils me suivront. Pourquoi dis-tu que l’histoire s’achève ?
— Disons que je le pense.
Adamsberg arrêta Johan qui courait entre les tables.
— Johan, peux-tu nous réserver la salle de l’étage, loin des clients ? Réunion spéciale. Au fait, quand Maël se pointera, amène-le-nous, mais attends qu’on ait fini de déjeuner.
— Pourquoi penses-tu que Maël va se pointer ? demanda Matthieu.
— Parce que c’est dimanche, parce qu’il viendra aux nouvelles. Il est comme ça.