— Mais parce qu’il a bien l’intention de filer, dit Matthieu. « Liberté », certes, mais provisoire, très provisoire. Il n’est pas assez sot pour ne pas le savoir.
— Seulement, dit Adamsberg, il a perdu toutes ses troupes et il a besoin de temps pour s’organiser. Ce n’est donc pas cette nuit qu’il va pouvoir disparaître, ni non plus en plein jour. Mais vous pouvez être certains qu’il prépare déjà son opération. En rameutant d’anciens hommes de main qui ne cracheront pas sur l’argent. À mon idée, trajet effectué en plusieurs voitures, et une fois à Sète, embarquement vers l’Afrique.
— À Sète, tous les bateliers ont été avertis de ne pas le prendre à bord.
— Avec un gros paquet de fric, Matthieu, ils se foutront de l’avertissement. Et Robic sera forcément grimé. Je propose donc de maintenir en roulement la surveillance en toute discrétion, à vélo, à pied, et en civil, cela va sans dire. Et par excès de précaution, jour et nuit. Par les hommes de Matthieu, car nous, il nous connaît.
— Cela demeure risqué, dit Matthieu avec une moue. Au point où nous en sommes, pourquoi ne pas en finir et disposer d’un second faux message annonçant la fin des indulgences et autorisant son arrestation. Motif ? La découverte, selon les témoignages des médecins et de la fillette, qu’il a tenté d’assassiner l’enfant.
— C’est envisageable, mais c’est non.
— Pourquoi ?
— Parce que figure-toi que je n’ai même pas prévenu le ministère qu’on avait réussi à localiser la petite hier et à la délivrer. C’est une faute de ma part, et délibérée.
— Pourquoi tu t’es tu ? répéta Matthieu, assez stupéfait.
— Parce que, dit Adamsberg en durcissant le ton, ils nous ont envoyés faire foutre, coup sur coup. Refus de libérer les prisonniers quand j’étais menacé de mort, refus encore quand Rose a été enlevée. Et cette dernière indifférence, je ne l’ai pas supportée. Et puisqu’ils nous avaient envoyés au diable et à la mort, je les envoie au diable à mon tour.
— J’approuve, dit fermement Matthieu.
— Ils ne sont donc au courant de rien pour Rose et ils vont exploser quand ils l’apprendront. Se demander comment on l’a libérée, par quel marchandage, par quelle ruse peut-être. Et pourquoi pas envoyer une commission d’enquête, découvrir la porte blindée, interroger Robic, découvrir l’existence d’un faux message. Et on coulera à pic. On ne va pas leur donner cette joie, Matthieu.
— Certainement non. Ne nous reste donc qu’à nous démerder seuls avec Robic.
— Exactement. J’envoie demain un message sec de deux mots et pas plus pour les informer du sauvetage de l’enfant, cela nous couvrira. Puis, comme tu dis, on se démerde seuls. Tout le monde approuve ?
Il y eut un murmure de voix affirmatives et Johan jugea le moment opportun pour apporter le dessert.
Durant toute la journée du lendemain, Matthieu se consacra aux tâches administratives relatives à leurs nouveaux détenus, tandis qu’Adamsberg, après un nouveau séjour sur son dolmen, déambula lentement au hasard des rues avec ses gardes, les yeux vagues. Il s’arrêtait régulièrement pour reposer sa jambe puis reprenait son errance. Matthieu l’avait appelé à midi pour lui signaler que les agents postés en surveillance avaient surpris Robic en train de téléphoner à l’arrière de son pré à quatre reprises. Adamsberg rejoignit l’auberge à quinze heures pour y reposer sa jambe un peu malmenée. À dix-huit heures, sourcils froncés, il joignit de nouveau son collègue au commissariat de Rennes.
— Matthieu, dit-il, on en est à combien ?
— Combien de quoi ?
— D’appels.
— Onze. C’est beaucoup, non ?
— C’est trop. Rameute l’équipe, on se retrouve à l’auberge à dix-neuf heures.
L’angélus du soir sonnait quand les sept hommes et Retancourt s’attablèrent à nouveau chez Johan devant un verre de chouchen.
— Robic a déjà passé onze appels aujourd’hui, résuma Matthieu, et même sûrement plus car les gendarmes n’ont pu surveiller que l’arrière de la maison, encadré de peupliers et de fils barbelés. Mais pas l’avant, qui est bordé d’une haute haie épineuse. Il prépare son départ, cela ne fait aucun doute.
— Et s’il a déjà contacté au moins onze gars, compléta Adamsberg, son plan peut aboutir et nous prendre de court. J’ai l’impression qu’il avance beaucoup plus vite que prévu.
— S’enfuir, s’envoler… réfléchit Veyrenc. Il a peut-être trouvé hommes et véhicules, mais il n’a plus de fric.
— Si, Louis. Dans le coffre de son entreprise. Il raflera le liquide sur la route de son départ. De nuit. Cette nuit peut-être. Matthieu, il faut serrer les mailles. Double ton nombre d’hommes et prévois le roulement. Cela fera douze. Plus les gardes à boucliers et notre équipe égale vingt-sept.
— Je peux venir, dit Mercadet. J’ai beaucoup dormi.
— Égale vingt-huit, reprit Adamsberg. Nous devrons tenir jusqu’à l’aube.
— De nuit… répéta le commissaire. Et nuit noire évidemment, soit vingt-trois heures trente. Donc mise en place à vingt-deux heures quarante-cinq.