— Non, je réfléchis à la manière de faire sortir Robic d’ici sans que toute la presse soit au courant. Ça ne ferait pas du tout notre affaire.
— On passera par les cachots où l’on met les plus durs à cuire. Le couloir débouche à l’opposé de la place. Je le ferai masquer, baisser la tête et nul ne verra son visage. On prendra une voiture banalisée et quatre flics pour reconduire Robic l’Immonde chez lui. T’as su ce qu’a dit le Poète ?
— Qu’il y avait encore des types qui traînaient avec lui.
— Qui peuvent faire « payer ça » à Robic.
— Ou l’aider.
— Ou venger son arrestation avant tout autre chose. Te tuer. Achever son œuvre. Reste planqué, on ne sait pas ce que cette ordure a dans le crâne.
— Je ne peux pas rester planqué, Matthieu. Je dois extravaguer. Je dois aller sur mon dolmen.
— Tu
— C’est cela. Ce sont les bulles, les idées vagues. Elles se décollent des fonds vaseux. Elles bougent, elles oscillent, elles se heurtent. Je ne peux pas me permettre de les abandonner trop longtemps ou elles repartiront bouder au fond du lac.
— C’est vraiment indispensable ?
— Ça l’est. J’ai le temps, on dînera tard ce soir.
— Admettons, soupira Matthieu. Tu iras les guetter sur
XLII
Un quart d’heure plus tard, Matthieu, épaulé par ses hommes armés, partit extraire Robic de la salle où il était bouclé et l’évacua selon son plan.
— Par où passe-t-on ? demanda Robic.
— Par une issue qui vous évitera les journalistes. Voyez comme nous sommes aimables. Votre mise en liberté ne doit pas être connue de la presse. Ni de quiconque.
— Parce que je risque ma vie ?
— C’est cela même. Faites-vous le plus discret possible, restez chez vous et ne vous pointez pas au bureau. C’est un ordre.
La sortie s’effectua sans encombre, à ceci près que, Robic ayant baissé la tête, la cagoule trop large tomba au sol. Matthieu la lui remit précipitamment.
Un homme, un homme de Louviec qui avait effectué des achats à Rennes, observait la scène. Il avait disposé de deux secondes pour apercevoir le visage du prisonnier un instant dénudé mais cela lui avait amplement suffi. Ainsi, Robic était libre. Pas assez de témoignages sans doute, et pas de preuves, il avait dû mettre tout sur le dos de ses associés. Il sourit. Que Robic prenne la raclée de sa vie lui ferait plaisir.
Maël lisait et relisait les journaux, qu’il avait tous achetés même s’ils se recopiaient les uns les autres, et laissait la télévision allumée, écoutant sans se lasser les informations qui se répétaient en boucle. Car savoir tous ces salauds enfin alpagués l’emplissait d’une joie intense. Il découpa leurs photos et les punaisa sur son mur. De même faisait Chateaubriand. Tant de décennies après l’assassinat du chien, Robic et Le Guillou payaient enfin pour leurs ravages, eux et leur bande de crapules.
Robic, lui, avait négligé toute cette paperasse et jouissait de sa liberté, d’autant que sa femme était momentanément absente. Effacement du rapt et circonstances atténuantes, il ne s’en tirerait pas si mal au procès, avec l’aide d’un excellent avocat. Mais qu’importe. À la date du procès, se dit-il avec un sourire, il serait déjà loin. Il n’avait pas une seule pensée pour les dix hommes de sa bande incarcérés. Il n’y songeait même pas. Sauf au fait que se retrouver seul ne lui facilitait pas les choses. Il lui restait cependant des relations assez nombreuses pour pouvoir filer jusqu’à Sète dans une autre voiture que la sienne, point de chute qu’il avait naturellement choisi car il y avait noué des liens assez solides pour qu’un bateau l’embarque vers la côte africaine. Il faudrait payer l’équipage, et cher, de même que ceux qui le conduiraient jusqu’au port. Les flics avaient ratissé le précieux contenu de son coffre, ne lui laissant que quelques centaines d’euros, tout à fait insuffisants. Et aller tirer une forte somme à la banque était trop risqué. Restait à s’introduire dans son magasin à la nuit et à rafler l’argent liquide de son entreprise. Les jambes étendues sur son bureau, il passait en revue ses très anciennes connaissances, déterminant lesquelles seraient les plus susceptibles de convenir. Il partirait grimé bien sûr, et très bien grimé, il avait tout le matériel sous la main ici. Cela – il l’avait vérifié –, les flics ne l’avaient pas embarqué, estimant sans doute que le butin de son coffre-fort suffisait largement à le faire tomber sans y ajouter quelques hardes.
Dès dix-neuf heures, Adamsberg s’était fait conduire à son dolmen par ses gardes du corps.
— Pourquoi le dolmen ? demanda l’un d’eux.
— Il aide à faire pousser les idées.
— Ah bon. J’essaierai, un jour. C’est vieux, ces trucs-là, non ?
— Quelque chose comme deux ou trois mille ans.