C’est sur le pré devant la maison de Robic que tous s’assirent, entourés par les gardes du corps, Adamsberg, la jambe allongée, ouvrait les multiples paniers de pique-nique que Johan lui avait confiés à son départ, pique-nique évidemment de haute qualité accompagné d’un vin choisi pour sa légèreté. Les gardes à boucliers, qui dévoraient les sandwichs très élaborés de l’aubergiste, formaient un groupe moins à part et moins silencieux qu’auparavant. Ils commençaient à se mêler aux autres et à sortir de leur mutisme. Mercadet avala sa part avant d’aller dormir quelques heures.
— Au lieu de perdre du temps à rentrer à Louviec, dit Adamsberg, vous pourriez dormir ici dans le pré, l’herbe est moelleuse comme un tapis de luxe et il fait tiède.
— Comment te débrouilles-tu avec ton divisionnaire avec un gars comme Mercadet ? demanda Matthieu.
— Très simple : le divisionnaire n’est pas au courant.
Matthieu hocha la tête, méditatif.
— Cet après-midi, on se cogne les deux perquisitions les plus difficiles, dit-il. Robic et Le Guillou. Mêmes équipes, mais j’ai fait venir un perceur supplémentaire. Je crains que les coffres de ces deux-là ne soient particulièrement ardus. À trouver comme à forcer. On aura le temps ensuite d’effectuer les fouilles chez le Poète et le Muet et de les interroger.
Après deux heures de recherches, l’emplacement des coffres n’avait été découvert ni chez Robic ni chez Le Guillou. Pensif, debout sur sa béquille dans la cuisine de Robic et cerné par ses gardes, Adamsberg observait les deux volumineuses cuisinières blanches qui se faisaient face.
— Louis, tu sais si les Robic recevaient beaucoup ?
— Selon Johan, la femme de Robic donnait une fête somptueuse tous les dimanches au moins, ce qui exaspérait le mari.
— Évidemment, c’est possible en ce cas.
— Qu’est-ce qui est possible ?
— Qu’il y ait deux cuisinières. On les a ouvertes ?
— Oui, et ce sont bien des cuisinières.
— Et comment sont les fours ?
— Ce sont des fours, Jean-Baptiste. Normaux.
— Réellement ?
— Disons que le four de celle-ci est peu profond, concéda Veyrenc.
— Alors c’est là, dit Adamsberg. Appelle le perceur.
Veyrenc ouvrit les boutons de gaz.
— Regarde, elles fonctionnent très bien toutes les deux, dit-il.
— Les brûleurs, oui, mais sûrement pas le four de la plus grosse.
— D’accord, dit Veyrenc après un essai, il ne fonctionne pas.
Derrière le double fond de la cuisinière au four inutile, le perceur mit à jour le coffre, un épais et haut rectangle qui s’encastrait dans le mur arrière, et s’y attaqua dans la foulée. Adamsberg appela Matthieu qui dirigeait les fouilles chez Le Guillou.
— Robic avait trouvé une astuce inédite. Deux cuisinières dont le fond de l’une masquait son coffre. Très possible que les deux hommes aient partagé leur combine. Tu ne remarques rien dans la cuisine ?
— Un grand réfrigérateur et un congélateur assez colossal. On les a vidés tous les deux.
— Prends les mesures entre le fond intérieur du congélateur et son épaisseur totale.
— Trente-deux centimètres de différence, dit Matthieu.
— Il est là. Démonte les plaques arrière.
Chacun de leur côté, les perceurs travaillèrent une bonne heure pour débloquer les portes des coffres. Les contenus de l’un et de l’autre étaient impressionnants, les deux têtes du groupe s’arrogeant plusieurs dizaines de millions et quantité de bijoux, preuve de l’inégalité flagrante du mode de partage entre les divers associés. Robic possédait un passeport encore vierge, comme Yvon Le Bras, signal d’une précaution en cas de fuite en urgence. Il ne pouvait évidemment emporter cette immense fortune avec lui mais avait déjà sûrement imaginé d’en confier la gestion à un financier véreux de sa connaissance. Sans envisager sans doute qu’avant sa « libération », les flics embarqueraient sans délai le contenu de son coffre. Outre les armes, les téléphones, les millions, les papiers, les bijoux, un dossier contenait tous les documents concernant l’héritage « légal » de Robic. Une affaire à traiter avec les flics de Los Angeles dès son retour à Paris, en scrutant à la loupe les plus petites différences entre ce texte et la véritable écriture de Donald Jameson.
XLI