— Et pourquoi, selon toi ?
— Parce qu’il ne réussissait pas à m’abattre. Il m’a donc tendu un foutu piège, en choisissant d’enlever une personne proche de moi : la fille de Johan. Car il était certain que je me rendrais à sa place, ce que j’allais faire en effet. Mais vous avez eu raison, il nous aurait tout bonnement assassinés tous les deux.
— Pour le moment, Adamsberg, et dès l’instant où Robic sera libre ce soir, on conserve les gardes du corps et les renforts de gendarmes. Et on protège la petite. Plus d’école jusqu’à nouvel ordre.
— C’est d’accord. Mais je crois qu’à présent qu’il est isolé, et ayant trahi ses complices, Robic préfère organiser sa fuite plutôt que de me flinguer.
— Comme il peut organiser ta mort, même depuis sa cellule. Tu ne peux être sûr de rien avec lui. Tu imaginais qu’il enlèverait Rose ?
— Pas forcément Rose, mais quelqu’un de mon équipe à ma place, oui.
— Je vais lancer les interrogatoires du Ventru et du Lanceur à mesure de l’avancée des perquisitions. À présent qu’il y a un témoin du rapt, que leur chef est en prison et quand on aura ouvert leurs coffres, il est bien possible qu’ils balancent les autres. On n’aime pas être seul à trinquer. Puis on attaquera les fouilles chez Robic, Le Guillou, Le Poète et Le Muet. Il est neuf heures ? Je vous rejoins chez le Ventru d’ici peu. Mais pour Robic, avec notre faux message, son cas est délicat. Quel motif pour une perquisition ?
Adamsberg parut méditer un moment.
— Suspicion de complicité pour délits, dit-il à voix lente. Rien ne nous en empêche au fond dans le « message du ministère », quelles que soient les « circonstances atténuantes ». L’expression est vague et on peut jouer là-dessus. Oui, c’est peut-être même prioritaire. Ensuite, son interrogatoire sera de pure forme puisqu’il se sent protégé par ces « circonstances ». Donc, perquisition et saisie du contenu du coffre, contenu si accablant qu’il justifierait la « suspicion pour délit ». Et prévoir sa libération sitôt après.
Trois quarts d’heure plus tard, les équipes d’Adamsberg et de Matthieu faisaient jonction dans le pavillon vieilli du Ventru, accompagnés par les vingt gendarmes de Combourg et d’Adamsberg, toujours abrité par ses gardes du corps. Ils se séparèrent en deux équipes et quatorze hommes partirent vers le domicile du Lanceur.
À midi, les deux maisons avaient livré leurs secrets, c’est-à-dire le contenu des coffres-forts, auquel ils étaient à présent habitués, armes, portables, faux papiers, bijoux, liasses de billets. Le tout avait déjà été photographié et placé sous scellés. Le Ventru comme le Lanceur avaient été moins bien servis que d’autres. Leurs faux papiers attestant qu’ils n’avaient pas suivi l’équipe à Los Angeles, ils n’avaient donc pas touché leur part de l’héritage.
Adamsberg et Matthieu informèrent les adjoints du commissaire à Rennes des résultats des deux perquisitions afin de leur permettre de mener leurs interrogatoires. Les deux hommes commençèrent par nier leur participation aux affaires criminelles de Robic et à l’enlèvement de Rose, mais l’énumération et les photos du contenu de leurs coffres ajoutées au témoignage précis de la fillette les désarçonna. Leur ahurissement lorsqu’ils apprirent que Robic, lorsqu’il était descendu à la cave, avait donné à l’enfant une dose létale de barbiturique – du phénobarbital, avaient révélé les analyses – était authentique. Choqués, intimement révoltés, prenant enfin conscience de la cruauté sans borne du chef tant estimé, ils dénoncèrent ses vingt-deux hauts faits les plus graves et meurtriers, commis à Sète comme dans la région de Combourg – attaques de banques à main armée, braquages de bijouteries, de camions de fonds, cambriolages –, minimisant leur participation. Tous deux juraient n’avoir jamais tué.
— Alors qui tuait quand nécessaire ? demanda le policier en charge, Lenôtre.
Le Ventru et le Lanceur, réunis pour la fin de l’interrogatoire, baissaient la tête, hésitant à donner leurs complices.
— Je vais vous dire ce que j’en pense, moi, dit Matthieu à son adjoint. Les trois véritables tueurs de l’équipe sont à coup sûr Le Guillou, le bras droit glacial de Robic, Hervé Pouliquen, l’assassin du docteur, dénué d’état d’âme, et Yvon Le Bras, dit le Prestidigitateur, dont le Joueur a dit qu’il maniait le pistolet comme un as. Quant à Robic, toujours soucieux de préserver sa personne en exposant les autres, il ne tuait pas, lui. Il préférait de loin faire tuer les autres. Sauf dans le cas de la fillette et du Bourlingueur. Ce qui donne à penser que Le Guillou n’était peut-être pas au courant de l’élimination de la petite.