— On ne le croirait pas à sa voix – il tenait la partition ténor dans notre petite formation musicale – mais c’était un dur à cuire. Roux, plutôt bien fait, belle gueule, mais qu’il ne fallait surtout pas contrarier. Robin… Robin comment ?
— Robin Corcuff.
— Nous y sommes. On les a tous à présent, non ?
— On tient les dix associés, dit Mercadet avec l’expression soulagée d’un homme victorieux. Ça va nous faire quatre perquisitions en plus, sans compter chez Robic et Le Guillou. Six.
— On a les hommes qu’il faut, dit Matthieu.
—
Matthieu hocha la tête en lisant le message.
— Je propose, dit-il à voix basse, de commencer à interroger ceux qui sont susceptibles de flancher, avant de s’attaquer aux chefs, Robic et Le Guillou, qui ne diront pas un mot.
— Si, dit Adamsberg, on a de bonnes chances pour que Le Guillou, en rage contre Robic, en lâche un bon bout. À interroger. Tous les deux.
— Donc six dans la journée de demain. Mais avant, on procède aux perquisitions, avec toute l’équipe et les gardes au complet, puis interrogatoires dans la foulée, à mesure de la découverte des coffres. Je garde Berrond et Verdun avec moi pour les fouilles et j’affecte des hommes expérimentés pour les interrogatoires. Pour le Muet, on trouvera un interprète particulier.
— Je vous envoie les adresses des quatre hommes, dit Mercadet, qui tombait soudain de sommeil et demanda à Johan s’il pourrait avoir un nouveau cordial demain.
— Non, dit fermement Johan. Pas tous les jours. Vous ne participerez qu’à la moitié des perquisitions et voilà tout.
Adamsberg restait dormir une nuit de plus chez Johan avant qu’on ait pris une décision sur ce point, et retint Matthieu par la manche sur le pas de la porte.
— Deux choses, Matthieu. Après l’interrogatoire de demain, on va laisser la bride sur le cou à Robic, sans surveillance policière apparente pendant deux jours, le temps qu’il se figure qu’il est effectivement libre. Je pense qu’il a l’intention de paraître filer doux durant quelques jours, mais qu’il est décidé à quitter le territoire dès que possible. Par Sète par exemple, où il connaît encore du monde. À Combourg aussi. Un peu de temps lui sera nécessaire pour qu’il prenne ses dispositions. Quand on nous demandera au ministère pourquoi Robic n’est plus en cellule, on expliquera qu’on s’en sert comme appât pour pincer les derniers de la bande. Ça te paraît plausible ?
— Très.
— Je vais m’occuper d’alerter tous les postes frontières. Je t’appelle demain dès que j’ai interrogé la petite.
— Et la deuxième chose ?
— Quelle deuxième chose ?
— Tu voulais m’entretenir de deux choses.
— Ah. J’oubliais. Qu’est-ce que c’est au juste, du « carbone végétal activé » ?
— Grosso modo, du charbon de bois purifié, qui absorbe les toxines. Tu crois que c’est le moment de t’occuper de médecine ?
— J’aime bien comprendre.
Matthieu secoua la tête en souriant, et Adamsberg réintégra l’auberge, volets fermés et toujours protégé par les gardes aux boucliers, bien que Robic fût provisoirement sous clef. Il rédigea un message d’alerte, accompagné d’une photo de Pierre Robic, à tous les commissariats, gendarmeries et postes frontières du pays, en insistant particulièrement auprès du capitaine du port de Sète, où la surveillance devait être accrue pour tous ceux embarquant à bord d’un quelconque bateau, de commerce, de pêche ou de plaisance. Puis il partit s’allonger sans fermer les yeux, attentif aux moindres nouveaux mouvements de sa bulle, qui s’était montrée conciliante mais peu claire.
XL
À huit heures du matin, le commissaire se présenta à l’hôpital de Rennes, muni des deux poupées préférées de l’enfant que lui avait confiées Johan. Il croisa un médecin pressé qui l’autorisa à voir Rose.
— Elle a pris un petit-déjeuner léger, dit-il, elle pourra sortir demain. Ne la bousculez pas néanmoins, elle est encore faible, nous l’avons sauvée de justesse.
Adamsberg entra doucement dans la chambre où la fillette reposait, les yeux mi-clos.
— Vous êtes un médecin ? demanda-t-elle d’une petite voix.
— Non, je suis un policier.
— Un vrai policier ? demanda-t-elle avec intérêt, incrédule.
— Un vrai.
— C’est vous qui m’avez libérée ?
— Avec mes camarades, oui. Tiens, dit-il en déposant les poupées sur son lit. Ton papa pensait que cela te ferait plaisir.
Rose attrapa une des poupées avec un sourire et la berça contre elle.
— Pourquoi il n’est pas là, papa ? Et maman ?
— Ils attendent que j’aie fini de te parler pour entrer.
— Me parler de quoi ?
— Des méchants qui t’ont emmenée dans cette maison. J’ai besoin que tu m’aides, Rose.
— Ils iront en prison ?
— Oui, mais tu dois m’aider. Sur le chemin de la cantine, que s’est-il passé ?
— Il y a une voiture qui s’est arrêtée.