Pendant que Froissy, collée à son écran, avait enfin trouvé une recherche impossible à mener et travaillait d’arrache-pied sur une image illisible, Adamsberg passa dans le bureau de Danglard où le commandant rédigeait le rapport sur l’attaque à main armée d’une petite bijouterie, l’avant-veille, qui avait blessé gravement le caissier. Les deux hommes étaient repartis les mains vides et les flics sans indices probants, hormis, selon le patron, qu’ils étaient jeunes d’allure, dans les vingt ans, que le « chef » avait la respiration un peu sifflante, que quelques cheveux roux sortaient par une maille de sa cagoule. En cherchant à la ranger dans son blouson avant de démarrer son scooter, la cagoule était tombée à terre. Une erreur d’amateur qui avait permis de relever l’ADN du jeune homme dans ses traces de salive. ADN inconnu au fichier. Sitôt dans ses mains, cette cagoule avait passionné Froissy : ce n’était pas une cagoule à côtes serrées ou en tissu polaire, mais tricotée à la main, à grosses mailles, comme pour permettre à l’homme de mieux respirer.
— Qu’est-ce qui vous intéresse tant dans cette cagoule, lieutenant ? avait demandé Adamsberg.
— Une idée de cinglée, sûrement.
— Dites, j’aime les idées de cinglée.
— On a bien un passant qui l’a photographié d’assez près quand il sortait de la boutique ?
— Oui mais ça ne sert à rien, Froissy, il portait encore cette foutue cagoule.
— Seulement, il s’agit d’une cagoule faite maison, à mailles larges. Voyez, je peux facilement passer mon doigt à travers les trous. Peut-être tricotée par la grand-mère pour que son petit-fils puisse aller au ski sans souffrir de son asthme. N’oubliez pas la respiration sifflante.
— Et donc ?
— Et donc je me demandais si, vu la largeur des espaces entre les mailles, en agrandissant la photo et en ne sélectionnant ensuite que les images livrées par les trous, cela ne pourrait pas nous donner au moins les contours du visage du gars, l’épaisseur de son nez, la longueur de ses lèvres, des choses comme cela. Plus probable que cela ne nous livre qu’une image grise inutilisable. Idée idiote. Je suis dessus avec Mercadet, il est imbattable en imagerie.
— Tentez toujours, Froissy.
— Comment va le caissier ? demanda Adamsberg sans que Danglard ne lève le nez de sa machine.
— Un peu mieux. Ça n’est pas passé loin.
— On le trouvera. Froissy cherche son visage.
— Ah oui, et comment ? dit Danglard en s’interrompant.
— Dans les trous des mailles de sa cagoule.
Danglard écarta l’idée saugrenue d’un geste.
— L’abattage continue donc à Louviec ? dit le commandant. Pauvre femme.
— Comment le savez-vous ?
— Quand quelque chose vous importe, je m’informe.
— Je venais vous en parler. Le commandant divisionnaire de Rennes, Combourg et autres lieux, c’est quel genre de type ?
Pour ces questions comme pour tant d’autres, on pouvait questionner Danglard en toute certitude. Il connaissait les différents gradés de toute la police nationale sur le territoire, comme d’autres savent l’alphabet.
— Le Floch ? C’est un con, affirma Danglard. Un con, sans imagination, un studieux normatif et conformiste, qui ne voit jamais plus loin que sa courte logique.
— Comment a-t-il décroché un tel poste ?
— Ah, cela, c’est son autre facette. Il n’en a que deux d’ailleurs, c’est vous dire la profondeur de l’homme. C’est un roublard, un magouilleur, un voleur. Il s’arrange toujours pour piquer le travail des autres, c’est-à-dire leurs réussites. Il se débrouille pour espionner tout le monde et avoir barre sur ses subordonnés. Réellement un sale type, mais qui a manœuvré pour avoir partout des relations haut placées, dans « les sphères qui comptent », dirons-nous. Vous mélangez tout cela et au final, vous obtenez un malhonnête imbécile pétri d’ambition et devenu divisionnaire.
— Après le premier meurtre, ce Le Floch voulait coller Chateaubriand en taule. J’ai réussi à convaincre Matthieu de lui faire saisir l’ampleur de la bévue.
— Il y avait des preuves solides ?
— Des bafouillages de mourant ivre. Mais il avait été tué avec le couteau de Chateaubriand.
— On l’a retrouvé où ?
— Dans la plaie.
Danglard secoua la tête avec une expression de mépris.
— Il faut vraiment que quelqu’un en veuille à ce malheureux descendant des Chateaubriand, qui porte la si lourde croix de son ancêtre, pour mettre en place des pièges aussi enfantins. Mais le meurtrier va avoir beaucoup à faire. Car avant que là-haut, tout là-haut, dit Danglard en pointant son doigt vers le plafond comme si le ministère se trouvait au-dessus des combles, on accepte de toucher à un Chateaubriand, et surtout à Josselin qui semble être sa réincarnation, talent mis à part, il y a de la route à faire.
— Parce que ?