— Si vous en voulez confirmation, je peux joindre, même un samedi, l’attaché du ministre de l’Intérieur, ajouta Adamsberg, et sans rencontrer le moindre problème. Pourquoi cela serait-il différent avec vous, monsieur Robic ?
Robic ne trouva pas de réponse. D’emblée, Adamsberg détesta ce type qui s’arrogeait tous les privilèges et la morgue de la richesse. Son visage lui déplaisait. Johan avait raison. C’était un type dur et arrogant, mince et de haute taille, qui les dévisageait de manière implacable par-dessus ses verres cerclés d’or. Ses dents, en effet, lui donnaient l’allure désagréable d’une poupée ratée.
— Suivez-moi, je n’ai que quelques minutes à vous consacrer.
— Mais nous, dit Adamsberg en bloquant sa marche, nous avons besoin de plus de quelques minutes pour vous parler.
— Et me parler de quoi ? dit Robic en montant le ton.
— Faites-nous l’honneur de nous recevoir quelque part et vous le saurez. Notez bien qu’il est inutile d’appeler un avocat, ceci n’est pas un interrogatoire mais une discussion informelle.
Robic émit un grondement rageur, et s’il se permettait une telle attitude envers deux commissaires de police, Adamsberg imaginait aisément ce que devaient endurer ses employés. Il les installa sur deux petites chaises dans un bureau luxueux et s’assit lui-même sur un vaste fauteuil beaucoup plus haut, usant de cette puérile manière d’assurer sa suprématie.
— Allons au fait, dit-il de sa voix rapide et sèche.
— Nous savons que vous avez quitté Louviec très jeune, commença Adamsberg, et exercé divers travaux à Sète, commis, chauffeur, laveur de carreaux, avant de monter un petit cercle de jeux.
— Qui a grandi et vous a rapporté assez pour payer votre voyage vers les États-Unis, dit Matthieu. C’est exact ?
Les deux commissaires se conformaient à leur stratégie, menant leur interrogatoire en alternance et à feu roulant, une question à gauche, une question à droite, manière de faire qui incommodait visiblement leur adversaire.
— Parfaitement. Vous voyez qu’à force de travail, j’ai démarré de très bas pour parvenir très haut.
— La police de Sète n’était pas de cet avis, reprit Adamsberg, qui trouvait que votre train de vie dépassait les gains de votre maison de jeux.
— Elle a donc ouvert une enquête.
— Qui n’a rien donné, comme vous le savez, messieurs.
— Sauf l’arrestation de deux de vos employés pour trafic de drogue.
— Sans aucun lien avec moi. L’enquête a été abandonnée.
— Et le doute demeure, dit Adamsberg.
— Vous partez donc pour les États-Unis. Seul ou accompagné ? Par un ami, veux-je dire ?
— Seul. Je n’ai pas besoin de chaperon.
— Vous mentez, monsieur Robic, dit Adamsberg. Pierre Le Guillou, votre inséparable compagnon, était non seulement votre associé à Sète, mais on le retrouve avec vous dans votre entreprise de vente de voitures à Los Angeles. Qui, elle aussi, s’agrandit. Vous êtes noté « suspect » dans les archives des policiers de la ville.
— Si vous aviez vécu à Los Angeles, vous sauriez que tout le monde ou presque y est noté « suspect ».
— Vous revenez à Louviec il y a quatorze ans, reprit Adamsberg, très fortuné. Selon votre mère, vous auriez hérité d’un mystérieux cousin de cousin…
— Rien de mystérieux, coupa Robic. Son nom est Donald Jack Jameson, apparenté à ma famille par la troisième femme d’un grand-oncle et sans descendant. Il achetait ses voitures de luxe chez moi – il en avait plusieurs – et nous sommes devenus d’excellents amis. Par un désastreux concours de circonstances, il a été agressé, dévalisé et tué la nuit même du jour où il avait rédigé son testament.
— J’apprécie votre formulation « désastreux concours de circonstances », dit Matthieu avec un sourire glacé. Un « très heureux concours » serait plus approprié.
— Je n’aime pas votre ironie, commissaire. N’oubliez pas que vous n’êtes ici que par l’effet de ma bonne volonté et que j’ai tout droit de vous faire jeter dehors. Venez-en au fait, messieurs. Cela fait plus d’un quart d’heure que vous me posez des questions qui n’ont rien à voir avec les meurtres de Louviec dont vous êtes en charge.
— J’en finirai donc en vous conseillant de vous montrer plus prudent, monsieur Robic, dit Matthieu. Ici comme à Sète et Los Angeles, votre train de vie dépasse vos moyens. Vous finirez par faire, à Combourg comme ailleurs, l’objet d’une enquête.
— Vous oubliez mon héritage.
— Nous ne l’oublions pas, dit Adamsberg. Le bon vieux cousin d’Amérique. Vous possédez son testament, je suppose ?
— Cela va sans dire. Il est dûment authentifié, si cela vous intéresse, et son double déposé chez mon notaire à Combourg.
— Précisément, cela ne m’intéresse pas, dit Adamsberg, pour la simple raison que vous ne dupez personne, monsieur Robic. Vendredi dernier, vous avez reçu une lettre particulière.
— Dans quel sens ?
— Une enveloppe cachetée glissée dans une autre pour être certain qu’elle vous parvienne. Blanche, avec un sceau à la cire de bougie. Ça ne s’oublie pas, cela.