R. Owen voulait éduquer l’homme – pour le rendre capable de s’organiser d’une manière intelligente.
Napoléon ne voulait ni l’un ni l’autre.
Il comprit très bien que sérieusement les Français ne désiraient ni le potage lacédémonien, ni les mœurs du temps des Brutus l’ancien, qu’ils sont loin à se contenter, pour tout plaisir – «de se réunir les jours de fête discuter les lois et enseigner les vertus aux enfants». – De l’autre côté il observa très bien qu’ils sont d’une humeur très belliqueuse. Au lieu de les empêcher à se ferrailler, ou leur prêcher les douceurs de la paix éternelle – Napoléon profita de cette manie – pour les lancer sur les autres peuples, allant à la chasse lui-même le premier. Il ne faut pas l’inculper de cela. Les Français seraient les mêmes sans lui – ils aiment avec passion le triomphe dans le sang, la victoire les grise. Cette sympathie entre Napoléon et la France explique l’amour par lequel elle l’entoura. Il n’était pas un reproche, un acte d’accusation – contre la masse – mais sa gloire splendide, il ne l’offensait point par sa pureté, ni par ses vertus, il ne présentait point en lui un idéal transfiguré devant ses yeux humiliés, il n’apparaissait pas comme un prophète fulminant, il n’enseignait rien, – il appartenait lui-même à la foule – et il lui montra elle-même, avec ses faiblesses et vices, avec ses passions et tendances –
Et il n’est pas tombé parce que le peuple entrevit tout le vide de sa politique, qu’il était las de donner son dernier fils et de répandre pour lui des torrents de sang. Du tout. Il finit par ameuter contre lui d’autres masses qui s’armèrent avec acharnement pour la défense de leur propre tyran – la théologie chrétienne était satisfaite – de part et d’autre on se battait avec fureur – pour le salut de ses plus grands ennemis.
…On rencontre souvent à Londres une gravure qui représente la rencontre de Wellington avec Blücher – au moment où la victoire de Waterloo se prononçait pour eux – il m’est impossible de rencontrer cette gravure sans m’arrêter. Cette figure calme, toute anglaise, ne promettant rien de bon, d’un côté, et de l’autre – ce vieux lansquenet tedesque, borné, bonasse et féroce – se saluent mutuellement avec un plaisir qu’ils ne cachent point… Et comment ne pas être au septième ciel – ils détournèrent l’Europe du grand chemin dans une boue fangeuse – dans laquelle elle pataugera un demi-siècle… A peine le jour commence à poindre – l’Europe dort encore sans savoir que ses déstinées sont changées parce que Blücher vint à temps et Grouchy trop tard… Que de larmes, que de souffrances a coûté aux peuples cette victoire… et que de larmes et de sang leur aurait coûté la victoire de l’autre parti!
– Quel est donc enfin le résultat de tout cela?
– Qu’appelez vous résultat?.. – est-ce une sentence morale dans le genre de «Fais ce que dois – advienne ce qui pourra» ou une sentence profonde dans le genre «que de tout temps l’homme versait des larmes – et du sang».
– A quoi bon?
– Tout le monde maintenant crie contre le lucre et la concussion et vous demandez un pot de vin de la vérité. «La vérité est une religion, – dit notre vieillard Owen, – n’exigez rien d’elle qu’elle seule».
…Pour tout ce que nous avons souffert, pour les os brisés, pour l’âme foulée, pour les pertes, les erreurs… pour tout cela – au moins déchiffrer quelques chiffres mystérieux dans les livres Sibyllins, saisir tant soit peu le sens général – de ce qui se fait autour de nous mais c’est énorme!
Les jouets d’enfants que nous perdons ne nous suffisent plus en réalité, ils ne nous sont chers que par habitude – et il est vraiment temps de les reléguer dans le garde-meuble – tout ensemble – l’ogre et la force vitale, le conte du siècle d’or etla fable – du progrès infini, le sang bouillant de S. Janvier, la prière météorologique pour la pluie – et «la natura sic voluit!»
Le premier moment peut être rude – on se sent trop délaissé… Tout se meut, se précipite… on peut aller où l’onveut, ni barrière, ni guide, «ni administration». – Et bien, je présume que la mer faisait aussi peur aux hommes qui osaient s’avancer, mais dès qu’ils comprirent que tout ce va et vient des vagues n’a aucun but – ils