Depuis longtemps assur'ement le monde n’avait rien eu de comparable au spectacle qu’a offert la malheureuse Italie pendant les derniers temps qui ont pr'ec'ed'e ses nouveaux d'esastres. Depuis longtemps nulle situation, nul fait historique n’avaient eu cette physionomie 'etrange. Il arrive parfois que des individus `a la veille de quelque grand malheur se trouvent, sans motif apparent, subitement pris d’un acc`es de gaiet'e fr'en'etique, d’hilarit'e furieuse — eh bien, ici c’est un peuple tout entier qui a 'et'e tout `a coup saisi d’un acc`es de cette nature. Et cette fi`evre, ce d'elire s’est soutenu, s’est propag'e pendant des mois. Il y a eu un moment o`u il avait enlac'e comme d’une cha^ine 'electrique toutes les classes, toutes les conditions de la soci'et'e et ce d'elire si intense, si g'en'eral, avait adopt'e pour mot d’ordre le nom d’un Pape!..
Que de fois le pauvre pr^etre chr'etien au fond de sa retraite n’a-t-il pas d^u fr'emir au bruit de cette orgie dont on le faisait le dieu! Que de fois ces vocif'erations d’amour, ces convulsions d’enthousiasme n’ont-elles pas d^u porter la consternation et le doute dans l’^ame de ce chr'etien livr'e en proie `a cette effrayante popularit'e!
Ce qui surtout devait le consterner, lui, le Pape, c’est qu’au fond de cette popularit'e immense, `a travers toute cette exaltation des masses, quelque effr'en'ee qu’elle f^ut, il ne pouvait m'econna^itre un calcul et une arri`ere-pens'ee.
C’'etait la premi`ere fois que l’on affectait d’adorer le Pape en le s'eparant de la Papaut'e. Ce n’est pas assez dire: tous ces hommages, toutes ces adorations ne s’adressaient `a l’homme que parce que l’on esp'erait trouver en lui un complice contre l’institution. En un mot, on voulait f^eter le Pape en faisant un feu de joie de la Papaut'e. Et ce qu’il y avait de particuli`erement redoutable dans cette situation, c’est que ce calcul, cette arri`ere-pens'ee n’'etaient pas seulement dans l’intention des partis, ils se retrouvaient aussi dans le sentiment instinctif des masses. Et rien assur'ement ne pouvait mieux mettre `a nu toute la fausset'e et toute l’hypocrisie de la situation que de voir l’apoth'eose d'ecern'ee au chef de l’Eglise Catholique, au moment m^eme o`u la pers'ecution se d'echa^inait plus ardente que jamais contre l’ordre des J'esuites.
L’institution des J'esuites sera toujours un probl`eme pour l’Occident. C’est encore l`a une de ces 'enigmes dont la clef est ailleurs. On peut dire avec v'erit'e que la question des J'esuites tient de trop pr`es `a la conscience religieuse de l’Occident pour qu’il puisse jamais la r'esoudre d’une mani`ere enti`erement satisfaisante.
En parlant des j'esuites, en cherchant `a les soumettre `a une appr'eciation 'equitable, il faut commencer par mettre hors de cause tous ceux (et leur nom est l'egion) pour qui le mot de j'esuite n’est plus qu’un mot de passe, un cri de guerre. Certes, de toutes les apologies que l’on a essay'ees en faveur de cet ordre, il n’en est pas de plus 'eloquente, de plus convaincante que la haine, cette haine furieuse et implacable que lui ont vou'ee tous les ennemis de la Religion Chr'etienne. Mais, ceci admis, on ne saurait se dissimuler que bien des catholiques romains les plus sinc`eres, les plus d'evou'es `a leur Eglise, depuis Pascal jusqu’`a nos jours, n’ont cess'e de g'en'eration en g'en'eration de nourrir une antipathie d'eclar'ee insurmontable contre cette institution. Cette disposition d’esprit dans une fraction consid'erable du monde catholique constitue peut-^etre une des situations les plus r'eellement saisissantes et les plus tragiques o`u il soit donn'e `a l’^ame humaine de se trouver plac'ee.