Quant à l’affaire du capitaine Wright, elle demande un peu plus de discussion. Il n’était ni traître, ni espion; il servait ouvertement son gouvernement en guerre avec la France. Les Anglais disent que, quand les Bourbons ont assisté les prétendants de la maison Stuart dans leurs entreprises réitérées contre la constitution et la religion de l’Angleterre, ce gouvernement n’a jamais traité avec une excessive dureté les Français employés dans ce service et qui tombaient dans ses mains. Quand l’heureuse issue de la bataille de Culloden, au contraire de celle de Waterloo, éteignit les dernières espérances des émigrés anglais, les Français, au service du prétendant, furent reçus prisonniers de guerre et traités exactement comme les prisonniers faits en Flandre ou en Allemagne. Je réponds que, probablement, aucun de ces officiers français ne fut pris pendant qu’il était engagé dans une entreprise d’assassinat contre le roi illégitime de l’Angleterre. On peut dire que Napoléon fit resserrer Wright dans sa prison avec une excessive dureté, mais, d’après ce qui s’est passé en Espagne et en France depuis deux ans, il n’est pas douteux que les rois légitimes n’eussent traité le malheureux capitaine avec une cruauté encore plus révoltante. Rien ne prouve que Napoléon l’ait fait assassiner. Que gagnait-il à ce crime qui, d’après la connaissance qu’il avait de la presse anglaise, allait retentir dans toute l’Europe?
Une réflexion bien simple va donner une preuve directe. Si ce crime était vrai, serions-nous obligé d’en chercher des preuves en 1818? Les geôliers qui ont gardé Pichegru et le capitaine Wright sont-ils donc tous morts? La police de France est confiée à un homme d’un esprit supérieur et ces gens n’ont point été interrogés publiquement. Il en est de même des hommes qui auraient été employés pour assassiner Pichegru et le capitaine Wright. Est-ce par ménagement pour la réputation de Napoléon que le gouvernement des Bourbons n’emploie pas ce moyen si simple? On a vu, dans le procès du malheureux général Bonnaire, des soldats répondre très librement qu’ils se souvenaient fort bien d’avoir fusillé Gordon, à des juges qui pouvaient à leur tour les faire fusiller.
Chapitre XXVI
Suite du même sujet
À Sainte-Hélène, le chirurgien Warden qui paraît être un véritable Anglais, c’est-à-dire un homme froid, borné, honnête et détestant Napoléon, lui dit un jour, que les vérités du saint évangile elles-mêmes ne lui avaient pas semblé plus évidentes que ses crimes. Warden, entraîné, malgré lui, par la grandeur d’âme et la simplicité de son interlocuteur, se laissa aller à développer ses sentiments[60]
. Napoléon parut satisfait, et, par reconnaissance de sa franchise, lui demanda, à son grand étonnement, s’il se rappelait l’histoire du capitaine Wright. «Je répondis: Parfaitement bien; et il n’est pas une âme en Angleterre qui ne croie que vous l’avez fait mettre à mort au Temple. Il répliqua très vivement: Pour quel objet? Il était, de tous les hommes, celui dont la vie m’était la plus utile: où pouvais-je trouver un plus irrécusable témoin dans le procès qu’on instruisait contre les conspirateurs? C’était lui qui avait débarqué sur les côtes de France les chefs de la conspiration. Écoutez, ajouta Napoléon, et vous allez tout savoir. Votre gouvernement envoya un brick, commandé par le capitaine Wright, lequel débarqua sur les côtes de l’ouest de la France, des assassins et des espions. Soixante-dix de ces gens-là avaient réussi à gagner Paris, et toute cette affaire avait été menée avec tant d’adresse que, quoique le comte Réal, de la police, m’eût annoncé leur arrivée, jamais on ne put découvrir leur retraite. Je recevais tous les jours de nouveaux rapports de mes ministres qui m’annonçaient qu’on attenterait à ma vie, et, quoique je ne crusse pas la chose aussi probable qu’eux, je pris des précautions pour ma sûreté.