Ses fautes en politique peuvent s’expliquer en deux mots: il eut toujours peur du peuple et il n’eut jamais de plan. Cependant, guidé à son insu par la justesse naturelle de son esprit et par le respect qu’il eut toujours pour l’Assemblée Constituante, ses institutions furent libérales. Il est vrai, un Corps Législatif muet, un Tribunat qui peut parler, mais non voter, un Sénat qui délibère en secret, sont ridicules, car un gouvernement ne peut être à moitié celui de l’opinion. «Mais, nous disions-nous, il faut des Romulus pour fonder des États, et il vient ensuite des Numa.» Il était facile, à sa mort, de perfectionner ces institutions et de leur faire produire la liberté. D’ailleurs elles avaient l’immense avantage pour les Français de faire oublier tout ce qui était ancien. Ils ont besoin d’être guéris de leur respect pour l’antiquaille, et Napoléon, mieux conseillé, eût rétabli les Parlements. Au milieu de tant de miracles produits par son génie, le premier consul ne voyait qu’un trône vacant; et il faut lui rendre cette justice, que ni ses habitudes militaires, ni son tempérament n’étaient propres à guider la mesure d’une autorité limitée. La presse, qui avait osé jeter une lumière importune, fut persécutée et subjuguée. Les individus qui encouraient son déplaisir, étaient menacés, arrêtés, bannis sans jugement. La liberté personnelle n’avait d’autre sécurité, contre les ordres arbitraires de son ministre de la police, que la profondeur de son génie, qui lui faisait voir que toute vexation inutile diminuait la force de la Nation et, par là, celle du prince. Et telle était la force de ce frein, que, régnant sur quarante millions de sujets, et après des gouvernements qui avaient pour ainsi dire encouragé tous les crimes, les prisons d’État étaient moins pleines que sous le bon Louis XVI. Il y avait un tyran, mais il y avait peu d’arbitraire. Or, le véritable cri de la civilisation est: Point d’arbitraire!
Agissant au jour le jour, et d’après les saillies de son humeur qui étaient terribles, contre les corps politiques, parce qu’eux seuls firent connaître la peur à cette âme intrépide, un beau jour, le Tribunat ayant osé raisonner juste contre les projets de lois préparés par ses ministres, il chassa de ce corps tout ce qui valait quelque chose et, peu après, le supprima entièrement. Le Sénat, bien loin d’être conservateur, éprouvait des mutations perpétuelles et s’avilissait sans cesse, car Bonaparte ne voulait pas qu’aucune institution prît des racines dans l’opinion. Il fallait qu’un peuple très fin sentît au milieu des phrases de
Jamais rien de plus juste n’a été dit sur la nation française[50]
.Sous l’empereur, la théorie faisait crier les Français:
Le premier consul se convainquit bien que la vanité était en France la passion nationale. Pour satisfaire à la fois cette passion de tous et sa propre ambition, il fut attentif à agrandir la France et à augmenter son influence en Europe. Le Parisien en trouvant un matin dans son