Bonaparte entra dans la salle des Anciens et parla au milieu des interruptions et des cris des députés attachés à la Constitution, ou, pour mieux dire, qui ne voulaient pas laisser réussir un mouvement dont ils n’étaient pas. Pendant ces moments décisifs, une scène plus orageuse encore se passait au Conseil des Cinq-Cents. Plusieurs membres demandèrent qu’on s’occupât de l’examen des motifs qui avaient déterminé la translation des Conseils à Saint-Cloud. Lucien fit de vains efforts pour calmer les esprits que cette proposition avait enflammés, et, lorsque les Français en sont à ce point, l’intérêt se tait, ou plutôt il n’en est plus d’autre que d’être héros par vanité. Le cri général était: «Point de dictateur! à bas le dictateur!»
À ce moment, le général Bonaparte entre dans la salle, escorté par quatre grenadiers. Une foule de députés s’écrie: «Qu’est-ce que cela signifie? Point de sabre ici! Point d’hommes armés!» D’autres, jugeant mieux la circonstance, se précipitent au milieu de la salle, entourent le général, le prennent au collet, et le secouent vivement en criant: «Hors la loi! à bas le dictateur!» Comme le courage, dans les salles législatives, est fort rare en France, l’histoire doit conserver le nom du député Bigonnet de Mâcon. Ce brave député eût dû tuer Bonaparte.
Le reste du récit est moins sûr. On prétend que Bonaparte, entendant le cri terrible de
Jusqu’à la publication des
On créa un
Le Tribunat et le pouvoir exécutif envoyaient défendre leurs projets de loi devant ce Corps Législatif muet.
Cette constitution pouvait fort bien aller, si le bonheur de la France eût voulu que le premier Consul fût enlevé par un boulet, après deux ans de règne. Ce qu’on aurait vu de la monarchie eût achevé d’en dégoûter. On voit facilement que le défaut de cette constitution de l’an VIII, c’est que le Sénat nomme le Corps Législatif. Celui-ci aurait dû être élu directement par le peuple, et le Sénat chargé de nommer chaque année un nouveau consul.
Chapitre XIX
État de la France au 18 brumaire
Le gouvernement d’une douzaine de voleurs lâches et traîtres, fut remplacé par le despotisme militaire; mais, sans le despotisme militaire, la France avait, en 1800, les événements de 1814 ou la Terreur.
Napoléon avait maintenant le pied à l’étrier, comme il disait dans ses campagnes d’Italie; et il faut convenir que jamais général ou monarque n’a eu d’année aussi brillante que le fut, pour la France, et pour lui, la dernière du XVIIIe
siècle.En arrivant à la tête des affaires, le premier consul trouva les armées de la France défaites et désorganisées. Ses conquêtes en Italie étaient réduites aux montagnes et à la côte de Gênes; la plus grande partie de la Suisse venait de lui échapper. L’injustice et la rapacité des agents de la République[41]
avaient révolté les Suisses; l’aristocratie prit dès lors le dessus en ce pays; la France n’eut pas d’ennemis plus acharnés; leur neutralité ne fut plus qu’un nom et la frontière la plus vulnérable fut entièrement découverte.