Son second mariage découvrit une nouvelle faiblesse dans son caractère. Il était chatouillé de l’idée que, lui, lieutenant d’artillerie, était arrivé à épouser la petite-fille de Marie-Thérèse. La vaine pompe et le cérémonial d’une cour semblaient lui faire autant de plaisir que s’il fût né prince. Il en vint à ce point de folie d’oublier sa première qualité, celle de fils de la Révolution. Frédéric, roi de Wurtemberg et véritable roi, lui dit dans un de ces congrès que Napoléon tenait à Paris pour justifier aux yeux des Français le titre d’empereur: «Je ne vois pas à votre cour des noms historiques; je ferais pendre tous ces gens-là ou je les mettrais dans mon antichambre.» C’est peut-être le seul conseil capital que Napoléon ait jamais suivi et il le suivit avec un respect bien ridicule en soi. Aussitôt les cent plus grandes familles de France allèrent prier M. de Talleyrand de les forcer à entrer à la cour. L’empereur étonné dit: «J’ai voulu avoir la jeune noblesse dans mes armées, je n’en ai pu trouver.»
Napoléon rappela aux grandes familles qu’elles étaient grandes sans lui; elles l’avaient oublié. Mais il était obligé, comme il l’a avoué depuis, de céder à cette faiblesse avec la plus extrême prudence: «Car toutes les fois que je touchais cette corde, les esprits frémissaient comme un un cheval à qui on serre trop la bride.» Il choquait la passion unique du peuple français: la vanité. Tant qu’il n’avait choqué que la liberté, tout le monde avait admiré.
Napoléon, pauvre et tout appliqué à des choses sérieuses dans sa jeunesse, était cependant bien loin d’être indifférent pour les femmes. Son extérieur extrêmement maigre, sa petite taille, sa pauvreté n’étaient pas faits pour lui procurer de la hardiesse et des succès. Il fallait là du courage en petits paquets. Je ne serais pas étonné de penser qu’il fût timide auprès des femmes. Il craignait leurs plaisanteries; et cette âme inaccessible à la crainte, se vengea d’elles, au jour de sa puissance, en exprimant sans cesse et crûment un mépris dont il n’eût pas parlé, s’il eût été réel. Avant sa grandeur, il écrivait à son ami, l’ordonnateur Rey, à propos d’une passion qui captivait Lucien: «Les femmes sont des bâtons boueux; on ne peut les toucher sans se salir.» Il voulait indiquer, par cette image inélégante, les fautes de conduite où elles entraînent: c’était une prédiction. S’il haïssait les femmes, c’est qu’il craignait souverainement le ridicule qu’elles distribuent. Se trouvant à dîner avec Mme
de Staël, qu’il lui eût été si facile de gagner, il s’écria grossièrement qu’il n’aimait que les femmes qui s’occupent de leurs enfants. Il voulut avoir et il eut, dit-on, par son valet de chambre Constant[137], presque toutes les femmes de sa cour, une d’elles, nouvellement mariée, le second jour qu’elle parut aux Tuileries, disait à ses voisines: «Mon Dieu, je ne sais pas ce que l’empereur me veut; j’ai reçu l’invitation de me trouver à huit heures dans les petits appartements.» Le lendemain, les dames lui demandant si elle avait vu l’empereur, elle rougit extrêmement.L’empereur assis à une petite table, l’épée au côté, signait des décrets. La dame entrait; il la priait de se mettre au lit, sans se déranger. Bientôt il la reconduisait lui-même avec un bougeoir et se remettait à lire ses décrets, à les corriger, à les signer. L’essentiel de l’entrevue ne durait pas trois minutes. Souvent son mameluck se trouvait derrière un paravent[138]
. Il eut seize entrevues de ce genre avec Mlle George, et, à l’une d’elles, lui donna une poignée de billets de banque. Il s’en trouva quatre-vingt-seize. Cela fut arrangé par le valet de chambre Constant; quelquefois il priait la dame d’ôter sa chemise et, sans se déranger, la renvoyait.Par cette conduite, l’empereur désespéra les femmes de Paris. Les renvoyer au bout de deux minutes pour signer ses décrets, souvent ne pas même quitter son épée, leur parut atroce. C’était leur faire mâcher le mépris. Il eût été plus aimable que Louis XIV, s’il eût voulu se donner la moindre apparence d’une maîtresse et lui jeter deux préfectures, vingt brevets de capitaines et dix places d’auditeurs à distribuer. Qu’est-ce que cela lui faisait? Ne savait-il pas que, sur les présentations de ses ministres, il nommait quelquefois les protégés de leurs maîtresses?
Il fut dupe de l’apparence de faiblesse. C’était comme celle pour la religion; un politique devait-il nommer faiblesse ce qui lui eût donné toutes les femmes? Il n’y eût pas eu tant de mouchoirs blancs à l’entrée des Bourbons.
Mais il haïssait, et la crainte ne raisonne pas. La femme d’un de ses ministres commet une faute unique; il a la barbarie de le lui dire. Ce pauvre homme, qui adorait sa femme, tombe évanoui. «Et vous, Maret, croyez-vous n’être pas c…? Votre femme a eu mercredi dernier le général Pir.»