Les choix que Napoléon faisait dans ses revues continuelles et en consultant les soldats et l’opinion publique dans le régiment, étaient excellents; ceux du prince de Neuchâtel, fort mauvais[141]
. L’esprit était un titre d’exclusion; encore plus, le moindre sentiment généreux d’enthousiasme pour la patrie.Cependant il est évident que la bêtise n’était nécessaire que dans les officiers de la garde qui devaient surtout n’être pas gens à se laisser émouvoir par une proclamation. Il ne fallait là que des instruments aveugles de la volonté de Mahomet.
La voix publique appelait à la place de major général le duc de Dalmatie ou le comte de Lobau. Le prince de Neuchâtel en eût été plus content qu’eux. Il était excédé des fatigues de sa place, et, pendant des journées entières, mettait les pieds sur son bureau et, se renversant dans son fauteuil, ne répondait qu’en sifflant à tous les ordres qu’on pouvait lui demander.
Ce qu’il y avait de divin dans l’armée française, c’étaient les sous-officiers et les soldats. Comme il en coûtait fort cher pour se faire remplacer à la conscription, on avait tous les enfants de la petite bourgeoisie; et, grâce aux écoles centrales, ils avaient lu
À l’armée, après une victoire ou après un simple avantage remporté par une division, l’empereur passait toujours une revue. Après avoir passé dans les rangs, accompagné du colonel, et parlé à tous les soldats qui s’étaient distingués, il faisait battre un ban; les officiers se réunissaient autour de lui. Là, si un chef d’escadron avait été tué, il demandait tout haut: «Quelle est le plus brave capitaine?» Là, dans la chaleur de l’enthousiasme pour la victoire et pour le grand homme, les âmes étaient sincères, les réponses étaient loyales. Si le plus brave capitaine n’avait pas assez de moyens pour être chef d’escadron, il lui donnait un avancement dans la Légion d’Honneur, et revenant à la question, demandait: «Après un tel, quel est le plus brave?» Le prince de Neuchâtel tenait note avec un crayon des promotions; et aussitôt l’empereur passé à un autre régiment, le commandant de celui qu’il venait de quitter faisait reconnaître dans leurs grades les nouveaux officiers.
Dans ces moments, j’ai vu souvent les soldats pleurer de tendresse pour le grand homme. Au moment même d’une victoire, le grand vainqueur envoyait des listes de trente ou quarante personnes pour des croix ou des grades, listes qui ordinairement étaient signées en original et qui par conséquent existent encore, souvent écrites au crayon sur le champ de bataille, dans les archives de l’État, et qui seront un jour, après la mort de Napoléon, un monument touchant pour l’histoire. Rarement, quand le général n’avait pas l’esprit de faire une liste, l’empereur employait la mauvaise forme de dire: «J’accorde deux croix d’officier et dix de légionnaire à tel régiment.» Cette forme ne va pas avec la gloire.
Quand il visitait les hôpitaux, des officiers amputés et expirants, leur croix rouge piquée avec une épingle à leur bois de lit, se hasardaient de lui demander la couronne de fer, et il ne l’accordait pas toujours. C’était le comble de la distinction.
Le culte de la gloire, l’imprévu, un entier enthousiasme de gloire qui faisait qu’un quart d’heure après l’on se faisait tuer avec plaisir, tout éloignait l’intrigue.