Les Alliés avançant en France, étaient tout étonnés; ils croyaient les trois quarts du temps, marcher dans une embuscade. Comme, malheureusement pour l’Europe, l’esprit chez eux ne correspondait pas à la fortune, les Alliés se trouvèrent dans les mains des premiers intrigants qui osèrent prendre la poste et aller jusqu’à leur quartier général. M. [de Vitrolles] fut le premier qui arriva avec des lettres de créance de l’abbé Scapin[174]
. Ils disaient qu’ils parlaient au nom de la France et que la France voulait les Bourbons. L’effronterie de ces deux personnages égaya beaucoup les généraux alliés. Quelque bons que fussent les Alliés, ils sentirent cependant un peu le ridicule d’une telle prétention.M. de Talleyrand abhorrait Napoléon qui lui avait ôté un ministère auquel il était accoutumé. Il avait le bonheur de loger le monarque qui, pendant un mois, fut le maître et le législateur de la France. Pour gagner son esprit, il se servit de tous les moyens et fit paraître l’abbé Scapin et d’autres intrigants qui se donnèrent pour les députés du peuple français.
Il faut avouer que ces moyens d’intrigue étaient misérables. Ils furent rendus excellents par la faute énorme qui avait été commise l’avant-veille. On avait fait sortir de Paris l’impératrice Marie-Louise et son fils. Si cette princesse eût été présente, elle offrait un logement aux Tuileries à l’empereur Alexandre, et le prince S[chwarzenberg] avait naturellement une voix prépondérante.
Chapitre LXX
Faiblesse des ministres de l’empereur
Le 30 mars, pendant que le bruit de la fusillade faisait perdre la tête à la moitié de Paris, les pauvres ministres de l’empereur, avec le prince Joseph pour président, ne savaient plus où ils en étaient.
Le prince se couvrit de boue en faisant afficher qu’il ne partirait pas, au moment où il fuyait. Le comte Regnault-de-Saint-Jean-d’Angély ajouta à son ignominie. Quant aux ministres, ils auraient bien eu une certaine énergie, car enfin tout le monde les regardait et ils avaient de l’esprit; mais la peur de perdre leur place et d’être renvoyés par le maître, s’ils laissaient échapper quelque parole qui avouât le danger, en avaient fait autant de Cassandres. Ils ne s’occupaient pas d’agir, mais d’écrire de belles lettres où le langage du despotisme devenait plus fier à mesure que le despote approchait du précipice.
Le matin du 30, ils se réunirent, à Montmartre; le résultat de leurs délibérations fut d’y faire conduire du canon de 18 avec des boulets de 12[175]
. Enfin, suivant l’ordre de l’empereur, ils décampèrent tous pour Blois. Si Carnot, le comte de Lapparent, Thibaudeau, Boissy d’Angles, le comte de Lobau, le maréchal Ney avaient été dans le ministère, ils se seraient conduits un peu différemment.Chapitre LXXI
Conversations chez le prince de Talleyrand
Après la marche triomphante sur le boulevard, l’empereur, le roi de Prusse et le prince Schwarzenberg avaient passé plusieurs heures dans les Champs-Élysées à voir défiler leurs troupes. Ces augustes personnages vinrent chez M. de Talleyrand, rue Saint-Florentin, près des Tuileries. Ils y trouvèrent dans le salon les gens dont nous avons parlé. Le prince de Schwarzenberg avait des pouvoirs pour consentir à tout. Les souverains parurent dire que si la grande majorité des Français et l’armée voulaient l’ancienne dynastie, on la leur rendrait. On tint un conseil. On assure que Sa Majesté l’empereur Alexandre dit qu’il lui semblait qu’il y avait trois partis à prendre:
1° Faire la paix avec Napoléon, en prenant toutes les sûretés convenables;
2° Établir la régence et proclamer Napoléon II;
3° Rappeler les Bourbons[176]
.Les gens qui avaient l’honneur de se trouver à côté des souverains alliés se dirent: «Si nous faisions faire la paix avec Napoléon, il nous a jugés, nous resterons ce que nous sommes et peut-être nous fera-t-il pendre; si nous faisons rappeler un prince, absent depuis vingt ans et dont le métier ne sera pas facile, il nous fera premiers ministres[177]
.» Les souverains ne purent pas se figurer que les vertus qui remplissaient leurs cœurs fussent si étrangères à des Français. Ils crurent à leurs protestations en faveur de la patrie, nom sacré que ces petits ambitieux prodiguaient au point d’en ennuyer leurs illustres auditeurs.Après deux heures de conversation: «Eh bien, dit l’empereur Alexandre, je déclare que je ne traiterai plus avec l’empereur Napoléon.» Les imprimeurs Michaud, qui se trouvaient aussi du Conseil d’État, coururent imprimer la déclaration suivante qui couvrit les murs de Paris…
Les personnes auxquelles leur étonnement n’ôtait pas leur sang-froid, remarquèrent que le roi de Rome n’était pas exclu par cette affiche[178]
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