Pourquoi, se disaient ces factieux, ne pas se donner la peine d’assembler le Corps Législatif qui, après tout, est la source de tout pouvoir légitime, et ce sénat, composé de l’élite de la nation et qui a erré, non pas faute de lumières, mais par excès d’égoïsme? Soixante égoïstes rassemblés ont toujours plus de pudeur que six. D’ailleurs, il y avait peut-être dix citoyens dans le sénat. On ne fit qu’une cérémonie de ce qui aurait dû être une délibération; de là, la campagne de Waterloo.
Si Napoléon, par une boutade de despotisme, n’eût pas renvoyé le Corps Législatif, rien de ce qui a eu lieu n’arrivait. Si Se Corps Législatif, que la conduite de MM. Laîné et Flaugergues venait d’illustrer, se fût trouvé rassemblé, l’esprit éminemment sage qui décida du sort de la France, aurait eu l’idée de le consulter.
Chapitre LXXII
Napoléon se replie sur Fontainebleau
Napoléon, ayant su le mouvement de l’ennemi, arrivait à Paris de sa personne. Le 30 mars à minuit, il rencontra à Essonne, à mi-chemin de Fontainebleau, un des plus braves généraux de sa garde (le général Curial) qui lui apprit la fatale issue du combat. «Vous vous êtes conduits comme des lâches.» — «Sire, nous étions attaqués par des troupes trois fois plus nombreuses que nous et qui étaient animées par la vue de Paris. Jamais des troupes de Votre Majesté ne se sont mieux battues.» Napoléon ne répliqua pas et fit tourner les chevaux de sa calèche vers Fontainebleau. Là, il rassembla ses troupes.
Le 2 avril, il passa la revue du corps de Marmont, duc de Raguse, qui avait évacué Paris, le 31 mars au soir, et était alors campé à Essonne. Ce corps formait l’avant-garde et était à peu près le tiers de son armée. Marmont l’assura de la fidélité et de l’attachement de ses troupes qui étaient en effet au-dessus de la séduction; mais il oublia de répondre pour leur général. Napoléon avait le projet de marcher sur Paris et d’attaquer les Alliés. Il fut successivement abandonné de la plupart de ses serviteurs, particulièrement du prince de Neuchâtel, sur le défaut duquel il plaisanta fort gaîment avec le duc de Bassano. Enfin il tint un conseil de guerre, et, prêtant l’oreille pour la première fois à ce que le maréchal Ney, le duc de Vicence et ses serviteurs les plus dévoués lui dirent du mécontentement général que son refus de faire la paix avait excité en France, il abdiqua en faveur de son fils, et, le 4 avril, il envoya Ney, Mac Donald et Caulaincourt porter cette proposition à l’empereur Alexandre.
Chapitre LXXIII
Marmont[179]
Comme ces généraux traversaient les avant-postes de l’armée française et s’arrêtaient pour faire contresigner leurs passeports par Marmont, ils communiquèrent à ce maréchal l’objet de leur voyage. Il parut confus et dit quelque chose, entre ses dents, de propositions à lui faites par le prince Schwarzenberg et auxquelles il avait prêté l’oreille en quelque manière. Mais, ajouta-t-il aux envoyés que cette parole avait frappés de stupeur, ce qu’il apprenait changeait la question et il allait mettre fin à ses communications séparées. Après quelques moments, un des maréchaux rompit le silence et dit qu’il serait plus simple que lui, Marmont, vînt avec eux à Paris et qu’il se joignît à eux dans les négociations dont ils étaient chargés. Marmont les accompagna en effet; mais dans quel dessein! c’est ce que les mouvements postérieurs de son corps d’armée montrèrent.
Les maréchaux le laissèrent avec le prince Schwarzenberg et allèrent remplir leur mission auprès d’Alexandre qui les envoya au sénat. Ce prince n’avait pas encore de plan arrêté et ne songeait pas aux Bourbons. Il ne s’aperçut pas qu’il était entre les mains de deux intrigants dont l’un surtout, Talleyrand, ne cherchait qu’à se venger[180]
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