Quand l’officier, qui avait accompagné les maréchaux aux avant-postes de l’armée, revint à Fontainebleau et rapporta que Marmont était allé avec eux à Paris et qu’il l’avait vu caché, dans le fond de leur voiture, tout le monde montra de la surprise et quelques-uns du soupçon. Mais Napoléon, avec sa confiance ordinaire dans l’amitié, répondit que, si Marmont les avait accompagnés, il était sûr que c’était pour lui rendre tous les services qui étaient en son pouvoir. Pendant l’absence des négociateurs, on rassembla à Fontainebleau un conseil de guerre composé de tous les généraux de l’armée. Il s’agissait de décider ce que l’on ferait si la proposition des maréchaux était rejetée. Souham, qui commandait en second le corps de Marmont, fut appelé comme les autres. Souham, qui était informé de l’intelligence secrète de Marmont avec l’ennemi, craignit d’être fusillé en arrivant à Fontainebleau et que tout ne fût découvert. Au lieu de se rendre à Fontainebleau comme il en avait l’ordre, il fit avancer son corps d’armée dans la nuit du 5 avril jusque dans le voisinage de Versailles. Par ce mouvement, il se mit au pouvoir des Alliés qui occupaient cette ville et laissa les troupes de Fontainebleau sans avant-garde. Les soldats de Souham ignorant ses instructions, obéirent sans défiance. Ce ne fut que le lendemain matin qu’ils découvrirent avec désespoir le piège dans lequel ils étaient tombés. Ils voulurent massacrer leurs généraux, et il faut convenir qu’ils auraient donné un exemple utile au monde. Si l’un des colonels ou généraux avait eu un peu de ce caractère, si commun autrefois dans les armées de la République, il pouvait tuer Souham et ramener l’armée à Essonne.
Il est inutile d’ajouter que la défection du corps de Marmont, dans ce moment critique, décida du sort de la négociation confiée aux maréchaux. Napoléon, privé du tiers de sa petite armée, ne fut plus un objet d’appréhension pour les Alliés. Le traité de Fontainebleau fut signé le 11.
Nous nous sommes arrêtés un instant sur ces détails parce que la trahison du maréchal Marmont envers son ami et son bienfaiteur n’a pas été bien comprise. Ce n’est ni sa défense, ni sa capitulation de Paris, qui méritent une attention particulière, c’est sa conduite subséquente qui transmettra son nom à la postérité.
Chapitre LXXIV
Déposition de Napoléon
Le lendemain du jour où M. de T[alleyrand] persuada aux souverains alliés que la France entière demandait les Bourbons, il se rendit au sénat qui, toujours faible, nomma le gouvernement provisoire qu’on lui désigna.
Le 2 avril, le sénat déposa Napoléon; le 3, le Corps Législatif adhéra aux actes du sénat.
Dans la nuit du 5 au 6, les souverains déclarèrent qu’ils ne voulaient pas de la première abdication de Napoléon en faveur de son fils. L’empereur Alexandre lui fit offrir un lieu de retraite pour lui et sa famille et la conservation de son titre[181]
.Chapitre LXXV
Constitution. Les ministres de Louis XVIII
Laissons un instant Napoléon dans l’Île d’Elbe. Les événements nous y rappelleront bientôt.
Le gouvernement provisoire par égard, je crois, pour les princes, qui s’avançaient avec la cocarde blanche, proscrivit la cocarde tricolore et proclama la cocarde blanche. «Bon, dit Napoléon, alors à Fontainebleau, voilà une cocarde toute trouvée pour mes partisans, si jamais ils reprennent courage.» L’armée fut profondément irritée.
Ce trait est comme l’épigraphe du gouvernement qui va suivre. Cette démarche était d’autant plus inepte qu’il y avait un prétexte très plausible: Louis XVIII étant alors
Le sénat fit une constitution qui était un contrat entre le peuple et un homme. Cette constitution appelait au trône Louis-Stanislas-Xavier. Ce prince, le modèle de toutes les vertus, arriva à Saint-Ouen. Malheureusement, pour nous, il n’osa pas se confier à ses lumières qui cependant sont si supérieures[183]
. Il crut devoir s’entourer de gens qui connussent la France. Il estimait, comme tout le monde, les talents du duc d’Otrante et du prince de Bénévent. Mais sa magnanimité lui fit oublier que la loyauté n’était pas le trait marquant du caractère de ces gens. Ils se dirent: «Il est impossible que le roi puisse se passer de nous. Laissons-le essayer de gouverner par lui-même; nous serons premiers ministres dans un an.» Il n’y avait qu’une chance contraire et qui s’est présentée deux ans plus tard: c’est que le roi trouvât un jeune homme de plus grand talent dont il pût faire un grand ministre.