Sandra était une des employées les plus fiables du State Care et Congreve le savait. Mais sans doute savait-il aussi qu’on l’avait vue déjeuner avec Bose. Congreve voulait seulement se débarrasser d’elle jusqu’à ce que c’en soit terminé avec Orrin. À qui a-t-il vendu sa conscience, se demanda Sandra, et quel est le tarif actuel ?
Elle voulut lui poser ces questions et faillit le faire, y compris au risque de perdre son emploi, mais arriva à se contenir. Elle ne ferait que s’embourber davantage, et en fin de compte, il n’était pas question de Congreve ou d’elle-même, mais d’Orrin. Offenser mortellement Congreve ne ferait aucun bien à Orrin. Aussi hocha-t-elle sèchement la tête en essayant de ne pas voir la lueur de triomphe dans le regard de son supérieur.
« Très bien. » Elle s’efforça de prendre un air de docilité convaincant, à défaut de sembler intimidée. Une semaine. S’il insistait.
Elle ressortit du bureau et réfléchit de toutes ses forces dans le couloir : elle avait toujours son passe et le reste, au cas où elle ait besoin de revenir… Elle s’arrêta dans son propre bureau pour rassembler quelques notes. Quand elle repassa dans le couloir, elle faillit se heurter à Jack Geddes, l’aide-soignant. « Je suis venu vous reconduire hors du bâtiment », lui annonça-t-il en savourant de toute évidence l’air stupéfait de Sandra.
C’était l’insulte suprême. « J’ai dit à Congreve que je partais.
— Il m’a demandé de m’en assurer. »
Sandra fut tentée par une réplique cinglante, mais celle-ci échapperait sans doute à l’aide-soignant. Elle dégagea son bras, mais se força à sourire. « Je ne suis pas très populaire auprès de la direction, en ce moment.
— Ah, ouais… j’imagine que je connais la chanson.
— Le Dr
Congreve m’a appris qu’il y avait eu une espèce d’incident, hier, avec Orrin Mather. Vous connaissez Orrin ? Un garçon maigre, qu’on a mis en isolement ?— Ça, vous pouvez le dire, que je le connais. Et ce n’était pas un simple “incident”, docteur Cole. Il est plus costaud qu’il en a l’air. Il fonçait vers la sortie comme s’il avait le feu au cul. C’est moi qui ai dû l’intercepter et le retenir jusqu’à ce qu’on arrive à le mettre sous tranquillisants.
— Orrin essayait de s’échapper ?
— Je ne vois pas comment on pourrait appeler ça autrement. Il feintait les infirmières comme s’il partait vers la ligne de but avec la balle.
— Et donc vous avez fait quoi, vous l’avez plaqué au sol ?
— Non m’dame, je n’en ai pas eu besoin. Je me suis mis devant lui en lui disant d’arrêter ses conneries. C’est plutôt lui qui m’a plaqué.
— Vous dites que c’est
Son ton avait dû paraître sceptique. Geddes s’arrêta pour remonter l’ample manche droite de son uniforme, révélant un épais bandage à égale distance du coude et du poignet. « Sauf votre respect, docteur Cole, ça ressemble à quoi, ça, pour vous ? Ce petit enculé m’a mordu si fort qu’il m’a fallu douze points et une putain de piqûre antitétanos. Il est en isolement, ouais. J’aurais préféré en
La chaleur se referma comme un poing sur Sandra quand elle traversa le parking pour regagner sa voiture.
Un temps comme celui-là rendait bien trop facile d’imaginer des bactéries anaérobies en train de se multiplier au fond des océans, comme dans le scénario catastrophe d’Orrin. Au large du Golfe, à ce que Sandra avait entendu dire, une zone anoxique en eaux profondes s’agrandissait un peu plus chaque été. La pêche à la crevette ne donnait plus rien depuis des années ; les pêcheurs avaient déserté la région.
Le ciel était d’une maussade couleur bleue. Comme la veille, comme l’avant-veille, des nuages en chou-fleur rôdaient sur l’horizon, mais sans apporter le moindre soulagement. Lorsqu’elle ouvrit la portière, une bouffée d’air torride s’échappa de sa voiture, accompagnée d’une odeur de plastique fondu. Elle patienta un peu afin de laisser la petite brise rafraîchir l’intérieur.
Elle s’aperçut en prenant place au volant qu’elle ne savait pas où aller. Devait-elle appeler Bose ? Mais elle pensait encore à ce qu’il lui avait raconté avant qu’elle le quitte ce matin-là.
Aussi fit-elle comme presque chaque fois qu’elle avait un problème et se retrouvait à l’improviste avec du temps libre : elle partit à Live Oaks voir son frère Kyle.
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Récit de Turk
1
Ma conversation avec Allison m’a conduit à me poser un nombre incalculable de questions, mais la plus importante était : arriverais-je vraiment à mentir de manière crédible ?