J’avais lu dans les manuels d’histoire comment s’était passé l’exode terrestre. L’appeler ainsi donnait l’impression d’une évacuation ordonnée de la Terre, mais la vérité était beaucoup moins rose. Le nombre immense de réfugiés ayant franchi l’Arc qui donnait sur Équatoria ne représentait pourtant qu’une petite partie de la population terrestre. Le reste était simplement mort, au fil de quelques très pénibles siècles d’appauvrissement progressif. Mort de faim parce que les récoltes se perdaient et les terres arables diminuaient, d’asphyxie parce que les foisonnements d’anaérobies étouffaient les océans et empoisonnaient l’atmosphère. Le sulfure d’hydrogène qui se dégageait des mers avait stérilisé les plaines côtières et les deltas ; au cours des décennies suivantes, inexorablement, les arrière-pays avaient succombé aussi. D’immenses incendies avaient emporté les forêts ravagées, libérant des tonnes de carbone supplémentaires dans l’atmosphère de plus en plus dense. Des décennies de froid sans lumière avaient été suivies d’autres d’accroissement de la température, le climat se mettant à osciller comme une cloche fendue.
Le déclencheur datait de mon époque, d’après Oscar. Les êtres humains avaient brûlé la plus grande partie du carbone terrestre sous forme de pétrole, de charbon et de gaz naturel, ce qui avait déjà eu des conséquences plutôt désagréables. Mais la découverte de gisements de pétrole dans le désert d’Équatoria, un bonus de brut facile à extraire et à importer par voie maritime via l’Arc des Hypothétiques, avait condamné la planète. Peut-être aurions-nous pu brûler tout notre propre carbone sans en mourir, mais relâcher dans l’atmosphère le CO2
de deux mondes avait submergé tous les mécanismes d’adaptation imaginables.J’ai dit à Oscar que ça nous donnait l’air plutôt idiot. Non, a-t-il répondu, c’était triste, mais tout à fait compréhensible. Dix milliards d’humains sans augmentation corticale ou limbique s’étaient tout simplement comportés de manière à maximiser leur bien-être individuel. Ils n’avaient pas vraiment réfléchi aux conséquences à long terme, mais comment auraient-ils pu ? Ils ne disposaient d’aucun mécanisme fiable par lequel réfléchir ou agir collectivement. Leur reprocher la mort de l’écosphère était aussi stupide que rejeter la responsabilité d’un tsunami sur les molécules d’eau.
Peut-être. C’était déprimant quand même et je n’ai pas caché ma réaction. Si je voulais gagner la confiance d’Oscar, il fallait que je lui laisse voir mes émotions. Certaines, du moins.
Il m’a conseillé d’essayer de voir ça par le prisme du temps. La mort de la planète, toutes ses souffrances, appartenaient désormais au passé. Et quand le destin de Vox s’accomplirait, une nouvelle ère commencerait, durant laquelle l’humanité fréquenterait ses maîtres sur un pied d’égalité. « Beaucoup de mystères seront résolus, monsieur Findley. Les miracles deviendront possibles. Vous verrez. Vous avez de la chance de vous trouver à bord de Vox à pareille époque.
— Vous le croyez vraiment ?
— Bien sûr.
— Sur la base de quelques prophéties ?
— Sur la base des calculs et déductions des fondateurs de Vox. Ces calculs étaient assez valables pour nous faire traverser les océans d’une demi-douzaine de mondes. Et pour nous faire passer sur Terre.
— Une planète morte. »
Il a souri. Oscar avait gardé pour lui une information précieuse, comme un magicien de scène qui attend le moment idéal pour sortir de sa manche une fleur en papier. « Pas
Il m’a montré une autre séquence vidéo. Prise comme les autres de très haut dans la troposphère et aussi difficile que les autres à interpréter. Au premier regard, elle semblait elle aussi représenter une étendue de désert quelconque, dans une partie du monde recouverte de glace à mon époque. Peut-être regardais-je des gros rochers ou des galets : l’échelle était indiquée en caractères que je n’arrivais pas à lire. Mais au milieu se trouvait une petite anomalie de régularité, et l’image a gagné en stabilité comme en résolution au fur et à mesure que l’appareil s’approchait. Il y avait là des structures, à n’en pas douter. Des carrés et des rectangles en couleurs pastel cendré, plus ou moins masqués par la brume. Certains de ces objets, m’a dit Oscar, avaient presque la taille de Centre-Vox. Et ce n’était pas des ruines ou des bâtiments abandonnés, pas au sens ordinaire. Il devenait de plus en plus flagrant, tandis que le champ visuel se réduisait peu à peu, que certaines de ces structures avaient laissé de longues traces linéaires dans la poussière de l’Antarctique. Elles se
« Nous pensons qu’elles sont l’œuvre des Hypothétiques », a doucement conclu Oscar.