Tu refuses d’être assimilé aux bourreaux, d’être celui par qui le malheur arrive, et pourtant tu ne peux être dissocié de l’humanité, de ses crimes, de ses injustices. Tu te réfugies derrière une éthique, une morale, mais sache que des millions et des millions d’êtres vivants souffrent au nom de cette éthique, au nom de cette morale. L’intention, la volonté de convaincre, voilà l’erreur. Eulan Kropt commit cette erreur il y a de cela six mille ans du calendrier estérien : il voulut partager son expérience, mais les mots eux-mêmes sont des pièges tendus par le temps. Et ses proches utilisèrent son discours pour élaborer une religion, pour enclencher les mécanismes enfouis dans leur mémoire profonde. Ils n’agissaient pas par calcul, ils étaient sincères, mais ils ne se rendaient pas compte qu’ils initiaient un nouveau cycle de tourments, qu’ils édifiaient les murs d’une nouvelle prison.
J’aurai moi aussi envie de raconter ce que j’ai vécu dans cette cuve, de proclamer la beauté de la vie…
Alors tes auditeurs deviendront tes disciples, ils t’élèveront au rang d’un dieu, ils fonderont un culte sur ton nom. Ce n’est pas parce que tu leur auras désigné le but qu’ils s’engageront sur le chemin. Abzalon n’a jamais cherché à convertir quiconque, ni même d’ailleurs à percer le mystère de l’ordre secret, il venait seulement déposer ses doutes et ses peurs comme un enfant qui s’abandonne dans les bras de sa mère.
Je persuaderai les autres de goûter ce bonheur.
Un désir, une expression de l’orgueil. Le Moncle, l’Hepta, la Fraternité omnique, l’Astafer et toutes les autres religions ont de la même manière voulu le bonheur d’autrui. Vois aujourd’hui où en est Ester, divisée, déchirée, sur le point de s’autodétruire, et l’A n’en sera pas responsable. L’étoile fait seulement partie de la trame.
Comment les amener à découvrir l’ordre secret ?
Ils le découvriront d’eux-mêmes si tu démontes leurs mécanismes pervers, si tu leur apprends la vigilance, la plénitude du présent, si tu les délivres du temps. Le vaisseau lui-même est inséré dans votre trame. Les particules les plus infimes qui le constituent subissent l’influence de vos pensées. Elles vibrent comme des notes tantôt harmonieuses, tantôt dissonantes.
Vous devriez pourtant haïr et combattre ceux qui ont saccagé votre monde.
Nous ne sommes pas animés d’intentions, nous veillons seulement à nous fondre dans l’ordre, dans le présent. Notre monde va bientôt mourir car sa symphonie est devenue trop discordante, mais nous sommes à jamais liés à l’humanité estérienne.
Qui êtes-vous exactement ?