« C’est comme ça que ça devait finir », soupira-t-il.
La foule se répartissait par petits groupes sur les bases des piliers, sur les excroissances alvéolaires. Djema avait si souvent contemplé cette salle qu’elle ne prêtait plus attention aux fleurs de tissu figées par la poussière, aux lumières crues des projecteurs, aux cloisons, au plancher et au plafond gangrenés par la rouille.
Un millier de personnes venaient régulièrement l’écouter, mais ses auditeurs ne semblaient pas pressés d’abandonner leurs vieux oripeaux. C’était même l’inverse qui se produisait : le peuple de
Les hommes et les femmes assemblés dans la grande salle alvéolaire affichaient ostensiblement leurs croyances par le biais de leurs tenues vestimentaires. Djema distinguait des chapeaux et des coiffes aux formes biscornues, des robes fendues jusqu’à l’aisselle qui ne dissimulaient pratiquement rien de l’anatomie de leurs occupantes, des vestes et des pantalons excentriques et vaguement inspirés des costumes traditionnels kroptes, de longues tuniques unisexes brodées de motifs criards… Une véritable industrie de la confection s’était développée ces dernières années : on décousait, on recousait, on transformait, on teintait avec des substances fabriquées à partir de colorants et de produits chimiques prélevés sur la nourriture, on s’affirmait coûte que coûte par les apparences. Et, si on venait régulièrement écouter Djema et Maran Haudebran dans la grande salle aux alvéoles, c’était davantage pour exhiber sa dernière création vestimentaire que pour s’imprégner de leurs paroles.
Djema laissa le silence s’installer avant de commencer. Elle était seule aujourd’hui, Maran ayant prétexté une grande fatigue pour se soustraire à ce qui était devenu pour lui une véritable corvée. Enthousiaste au début, il rechignait désormais à délivrer les enseignements du Qval : « Ils n’en ont strictement rien à foutre, du Qval et de l’ordre secret ! grondait-il. Ils ne songent qu’à se vautrer dans leurs vieux instincts ! » Il n’avait pas tout à fait tort : aucun d’eux n’avait exprimé le souhait de rencontrer la créature légendaire d’Ester, aucun n’aspirait à subir la terrible épreuve de la cuve bouillante, ils préféraient se tourner vers les anciennes idoles qu’ils affublaient de nouveaux noms, de nouvelles formes.
Djema parla sans conviction de la nécessité de s’éveiller au présent, un discours tellement rabâché qu’il en devenait machinal, dénué de sens. Et, d’ailleurs, plusieurs de ses auditeurs ne se privèrent pas d’exploiter sa lassitude.
« Nous le vivons, le présent ! s’insurgea un homme qui, à en par juger ses vêtements, appartenait au groupe des néo-Kroptes. Chacun est libre de ses croyances.
— Seul est libre celui qui peut sortir de ses croyances, répliqua Djema.
— C’est ta croyance, pas la mienne !
— Je vous engage seulement à explorer votre mémoire profonde, à découvrir les raisons secrètes de votre comportement.