Читаем Abzalon полностью

La vieille femme se redressa à nouveau sur la couchette, tendit les bras. Son sourire révélait ses dents déchaussées, rehaussait ses pommettes, effaçait ses joues, accentuait son air tragique.

« Viens, Eshan, viens embrasser ta mère. »

Laed interrogea Ellula du regard. D’un signe de la main, elle l’encouragea à accéder à la requête de Kephta. Il s’approcha de la couchette, se pencha sur la mourante, lui offrit son visage, subit sans broncher son étreinte hystérique.

« Eshan, tu n’es pas mort, tu es revenu, tu ne me quitteras plus, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ?

— Je resterai toujours près de vous, murmura Laed qui ne bougea pas malgré l’inconfort de sa position, malgré les courants glacés qui s’échappaient des lèvres parcheminées de Kephta.

— Ellula est aussi venue, tu la vois derrière toi ? Tu l’épouseras, Eshan, tu lui feras de beaux enfants, nous recommencerons notre vie, tu auras le plus grand domaine, des milliers de yonaks, des dizaines de louagers, une maison et des granges qu’ils t’envieront tous. Tu te souviens, Eshan, des fleurs de pavol dans les champs de fizlo ? Comme elles sont rouges !

— Bien sûr, mentit Laed, étourdi par ce flot de paroles.

— Tu te souviens de la lumière de l’A sur les prairies, des fêtes des ventres-creux, de l’odeur du miel chaud, tu te souviens de notre bonheur, Eshan ? »

Il ne fut pas cette fois obligé de mentir : elle le relâcha soudain et retomba sur la couchette en exhalant un interminable soupir. Il observa pendant quelques instants ses yeux vitreux, sa bouche grande ouverte, ses cheveux épars sur l’oreiller, puis il se retourna vers Ellula.

« Est-ce qu’elle est…

— Elle avait besoin de toi pour franchir le passage.

— Je n’ai pas compris grand-chose à ce qu’elle m’a raconté.

— Elle te parlait d’Ester, Laed, de son monde.

— Tu en viens aussi, grand-mère, mais tu ne sembles pas le regretter autant qu’elle.

— Ça m’arrive de temps en temps. Mais ce ne sont pas les souvenirs qui me pousseront à quitter ceux que j’aime. »

Elle lui ébouriffa les cheveux, le prit par la main et l’entraîna dans l’autre pièce.

« Va vite prévenir les permanents de la morgue. »

Après qu’il eut filé dans la coursive, Ellula retourna près du corps de Kephta, ignorant l’odeur de mort qui avait déjà investi la chambre. Elle ferma les yeux de la défunte, lui glissa l’oreiller sous la nuque, arrangea le drap, puis elle s’assit au pied de la couchette et fixa un long moment le visage enfin détendu de la troisième épouse d’Isban Peskeur. Elle se souvint des quinze jours éprouvants qu’elle avait passés au domaine, de la chaleur étouffante de l’étable, des rires des femmes affectées à la traite, des nuées de zihotes… Elle vit soudain les vertes prairies et les bâtiments disparaître sous les eaux, des cadavres humains et animaux dériver sur les faibles courants, des charognards ailés planer au-dessus d’une cité dévastée, une poignée de survivants se réfugier sur la crête d’un massif montagneux. Elle fut transportée sur le littoral de son enfance. Du bouillant ne subsistait plus qu’un fond de terre craquelé, criblé de bouches rondes, hérissé de rochers torturés et noirs. Elle traversa l’océan, aperçut des lacs entre les reliefs majestueux et tourmentés dont les sommets avaient autrefois formé des îles, de grands bateaux couchés sur les algues desséchées, des cadavres pourrissants de mammifères marins, des milliers et des milliers d’oiseaux cherchant leur pitance au-dessus de marécages recouverts d’une herbe visqueuse et brune. Elle atteignit l’autre rive, erra dans les ruines d’une autre cité, immeubles effondrés, rues submergées, centaines de corps gonflés flottant à la surface de l’eau, ponts coupés en deux, moignons de piliers dressés vers le ciel, aérotrains renversés, corrodés. Elle survola le continent Nord, rencontra partout le même spectacle de désolation. L’eau escamotait des régions entières, reformait au milieu des terres un océan qui recouvrait la métropole de Vrana. Les bâtiments les plus élevés de l’ancienne capitale du Nord affleuraient la surface paisible et miroitante des flots. Elle visita les monts noirs, l’ancienne réserve des Qvals, découvrit un gigantesque bâtiment entouré d’un haut mur d’enceinte et pratiquement intact, sut qu’elle pénétrait dans le pénitencier de Dœq, visita les couloirs et les cours déserts, se glissa à l’intérieur des cellules vides. Les pierres descellées et tapissées d’une lèpre jaunâtre restaient imprégnées de l’odeur, de la peur, du sang, de la sueur d’Abzalon.

Quelqu’un lui agrippa l’épaule. Elle rouvrit les yeux, se retourna : Abzalon la regardait, souriant, inchangé, rugueux, cabossé, aussi solide qu’un roc au milieu d’une tempête.

« Laed m’a dit que t’étais là, dit-il à voix basse comme s’il craignait de réveiller Kephta. J’te cherchais partout, j’commençais à m’inquiéter. C’est que j’arrive plus à me passer de toi.

— J’étais avec toi, là-bas, à Dœq.

— Une vision ?

— Ester… Ester n’est plus. Oh, Abzalon… »

Elle éclata en sanglots. Il la releva et la serra contre lui.

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