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Il n’avait pas perdu connaissance lorsque le sol s’était subitement affaissé et qu’il était tombé trois ou quatre mètres plus bas. Les réflexes aiguisés par les incessantes parties de cache-cache avec les forces de l’ordre estériennes, il avait amorti sa chute avec les mains et roulé sur le sol. Il avait reçu de la terre sur le visage et les épaules mais par chance, et bien que l’éboulement eût continué après sa dégringolade, aucune pierre ne s’était abattue sur lui. Il s’était aussitôt relevé, avait repéré, à la lueur diffuse de Vox, les bouches de galeries, avait emprunté la première d’entre elles et s’était enfoncé en courant dans les ténèbres de plus en plus opaques. Aiguillonné par les éclats de voix et les bruits de pas de Fonch et de ses hommes, il avait enfilé les boyaux au hasard, tournant tantôt à gauche, tantôt à droite, les bras tendus pour prévenir les éventuels obstacles. Au bout d’une heure de cette fuite éperdue, il s’était rendu compte qu’un silence profond l’environnait et en avait déduit qu’il avait semé ses poursuivants. Alors seulement il avait éprouvé des remords d’avoir laissé Lœllo seul avec les tueurs et il avait décidé de rebrousser chemin.

Le silence lui paraissait dorénavant hostile. Il lui tardait de quitter cette atmosphère oppressante, saturée d’odeurs de terre humide, de moisissures, de minéraux, de respirer la puanteur familière du pénitencier. Cette errance dans les souterrains de Dœq lui donnait l’impression de déambuler à l’intérieur d’un tombeau. Les nerfs à vif, il pressait le pas, s’égratignait aux aspérités de la roche, se cognait aux coudes formés par les parois, à la voûte inégale lorsque celle-ci perdait de sa hauteur et l’obligeait à courber l’échine. La sueur rongeait ses éraflures avec la virulence d’un acide. Son caleçon, déchiré de part en part, ne tenait plus que par deux ou trois fils. La faim le tenaillait, ses jambes flageolaient, ses forces déclinaient. Il craignait de crever comme un rondat coincé dans l’un de ces pièges sommaires fabriqués par les deks.

Avant son incarcération à Dœq, il avait ressenti ce genre d’inanition à chaque fois que les waks, les forces de l’ordre estériennes, l’avaient pris en chasse. Jusqu’à sa capture, il avait pensé que ces fringales subites étaient liées aux meurtres qu’il venait de commettre et qui le laissaient déprimé après le bref éblouissement des sens. Ce jour-là, il avait puisé dans ses réserves pour semer les patrouilles alertées par les capteurs thermomentaux (une intelligence artificielle qui traduisait les variations des courbes thermiques corporelles en probabilités psychiques), et la course folle dans les ruelles et sur les toits de Vrana l’avait exténué. La faim l’avait poussé à s’aventurer hors de l’immeuble en ruine dans lequel il venait de se réfugier. Il s’était avancé vers le chariot d’un marchand ambulant et s’était tout à coup retrouvé encerclé par une trentaine d’hommes en uniforme. Il n’avait pas eu le temps de réagir : une décharge paralysante l’avait atteint en pleine tête. Il s’était réveillé quelques heures plus tard dans un caisson capitonné et avait compris qu’il avait fini de traquer ses proies dans le chaos urbain de Vrana.

La fringale n’avait pas de rapport avec les meurtres mais seulement avec le sentiment d’incertitude, avec la perte des repères. Davantage qu’un apport calorique, son corps réclamait une caresse intérieure. Plonger les mains dans les cervelles de ses victimes et manger étaient les seuls actes sensuels, affectifs, qu’il eût pratiqués depuis sa petite enfance.

L’amitié de Lœllo relevait d’une autre nature : elle entrebâillait une porte sur un univers empathique qu’il n’avait jusqu’alors jamais exploré. Il avait découvert qu’il pouvait parler avec quelqu’un sans pour autant se sentir manipulé, jugé, rejeté. Leur complicité avait également tissé des liens de dépendance qui, il s’en rendait compte aujourd’hui, l’affaibliraient considérablement s’ils venaient à se rompre. L’indifférence à ses semblables, exception faite de ses pulsions meurtrières, avait jusqu’à ce jour constitué la clef de sa survie. La pensée l’effleura qu’il devait prendre les devants, éliminer lui-même Lœllo si les complices de Fonch ne l’avaient déjà fait, en finir une bonne fois pour toutes avec cette inquiétude qui lui rongeait les sangs.

Il perçut un chuintement devant lui. Tous sens aux aguets, le cœur affolé, il se colla contre la paroi et tenta de percer l’obscurité du regard. Il eut l’impression saisissante que les ténèbres s’étaient mises en mouvement. Il lui fut impossible de savoir s’il avait affaire à un homme seul ou à un groupe. Il hésita : fuir à nouveau ou attendre, exploiter l’effet de surprise. Il opta pour la deuxième solution, n’ayant ni la volonté ni le courage de se remettre à courir. Il ne discerna aucune silhouette mais il n’eut pas besoin des dons métapsychiques de Lœllo pour détecter une présence dense et froide. Une terreur indicible l’étreignit, lui coupa le souffle.

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