Pour ceux qui auraient oublié
leur latin d’école, notons que le nom du principal personnage (et par
conséquent le titre du livre) est emprunté à la deuxième Églogue de
Virgile, Alexis, à laquelle, et pour les mêmes raisons, Gide prit le
Corydon de son essai si controversé. Le sous-titre, d’autre part, Le Traité
du Vain Combat
, fait écho au Traité du Vain Désir, cette œuvre un peu
pâle de la jeunesse d’André Gide. En dépit de ce rappel, l’influence de Gide
fut faible sur Alexis : l’atmosphère quasi protestante et le souci
de réexaminer un problème sensuel viennent d’ailleurs. Ce que j’y retrouve au
contraire dans plus d’une page (et à l’excès peut-être) c’est l’influence de
l’œuvre grave et pathétique de Rilke, qu’un hasard heureux m’avait fait
connaître de bonne heure. En général, nous oublions trop l’existence d’une
sorte de loi de la diffusion retardée, qui fait que les jeunes gens cultivés
vers 186o lisaient Chateaubriand plutôt que Baudelaire, et ceux de la fin du
siècle Musset plutôt que Rimbaud. Pour moi, qui ne me prétends du reste à aucun
degré caractéristique, j’ai vécu mes années de jeunesse dans une indifférence
relative à la littérature contemporaine, due en partie à l’étude de celle du
passé (c’est ainsi qu’un Pindare, d’ailleurs bien gauche, précède dans
ce qu’on pourrait appeler ma production ce petit livre sur Alexis), en partie à
une instinctive méfiance envers ce qu’on pourrait appeler les valeurs de vogue.
Des grands livres de Gide où le sujet qui m’occupe était enfin ouvertement
traité, la plupart ne m’étaient encore connus que par ouï-dire ; leur
effet sur Alexis tient bien moins à leur contenu qu’au bruit fait autour
d’eux, à cette espèce de discussion publique s’organisant autour d’un problème
jusque-là examiné en huis clos, et qui m’a certainement rendu plus facile
d’aborder sans trop d’hésitation le même thème. C’est du point de vue formel
surtout que la lecture des premiers livres de Gide m’avait été précieuse, en me
prouvant qu’il était encore possible d’utiliser la forme purement classique du
récit, qui autrement eût risqué peut-être de me sembler à la fois exquise et surannée,
et en m’évitant de tomber dans le piège du roman proprement dit, dont la
composition demande de son auteur une variété d’expérience humaine et
littéraire qu’à cette époque je n’avais pas. Ce que j’en dis n’a certes pas
pour but de réduire l’importance de l’œuvre d’un grand écrivain qui fut aussi
un grand moraliste, encore moins de séparer cet Alexis, écrit dans
l’isolement de la mode par une jeune femme de vingt-quatre ans, d’autres
ouvrages contemporains d’intentions plus ou moins semblables, mais au contraire
de leur apporter l’appui d’une confidence spontanée et d’un témoignage
authentique. Certains sujets sont dans l’air d’un temps ; ils sont aussi
dans la trame d’une vie.