Il y a presque deux ans, il y eut dans Massilia une fête fastueuse rendue en hommage au patricien Aulus Serge Tulian, de passage dans la ville. Incité par des amis, mon père a permis que je me charge de plusieurs numéros musicaux lors de la grande soirée de réjouissance publique. À cette occasion, j'ai connu Marcel Volusianus, un jeune homme qui s'est immédiatement intéressé à moi et qui est devenu mon mari quelques mois plus tard. Mon père a toujours soutenu le besoin de connaître ses antécédents avant de donner son approbation au mariage, mais se sentant âgé et malade, il a voulu satisfaire mes désirs ardents de jeune femme puisque je ne nourrissais
pas le moindre doute quant à la correction du jeune homme qui m'avait éveillée aux joies de l'amour. Il assurait venir d'une noble famille avec des ressources suffisantes dans différentes affaires pour garantir sa vie et apparentait une telle prospérité financière que je n'ai pas hésité à accepter comme une vérité pure les informations qu'il nous fournissait. Marcel, néanmoins, après le mariage, s'est révélé irresponsable et cruel et les manières aristocratiques de l'ami d'Aulus Serge ont disparu. En plus d'être un véritable tyran, c'était un joueur invétéré à l'amphithéâtre, plongé dans des activités suspectes. Au début, mon père et moi avons tout fait pour le soustraire au vice qui le subjuguait et, à ces fins, j'ai accepté de travailler comme harpiste dans des fêtes, croyant l'aider à trouver une solution à ses nombreuses dettes, cependant, j'ai vite remarqué qu'il utilisait mes dons artistiques pour attirer l'attention de relations importantes auprès desquelles il obtenait de juteuses aventures financières dont je n'ai jamais pu connaître l'extension.La jeune femme a soupiré, blessée par ces pénibles réminiscences, et a continué :
Si le problème s'était limité aux déboires d'ordre matériel, nous serions probablement encore à Massilia à chercher des solutions. Mais malgré tout mon dévouement affectif pendant les six mois que nous avons vécus ensemble, Marcel semblait las de mon affection, et il est tombé amoureux de Sublicia Marcina, une poétesse intelligente et une danseuse renommée avec qui il s'est mis à vivre, sans abandonner notre maison. Nous avons assisté à tant de scènes déprimantes que mon père a décidé de notre transfert ici, en quête de changement...
Et quelle attitude as-tu adoptée face à ce vaurien qui a procédé de la sorte ? — a coupé Tatien, pris d'une forte impulsion.
Comme toute femme — a expliqué Livia dont la profondeur philosophique alliée à sa fraîcheur juvénile, rendait admirable en cette heure —, j'ai beaucoup souffert au début, mais avec l'aide du ciel, ma jalousie a fini par un sentiment de miséricorde. Je considère Marcel bien trop malheureux pour le condamner. Je ne crois pas qu'il puisse jouir de la tranquillité d'une vie digne.
Tatien l'a regardée avec admiration et regret, puis il lui a dit avec affection :
Pourquoi penses-tu cela ? Semblable attitude chez une jeune fille qui n'a pas encore vingt ans, n'est pas commune !... Ne serais-tu pas par hasard aussi femme que les autres ?
Livia a souri un peu triste et lui fit remarquer :
Je n'ai pas eu de mère qui me veuille. Je dois toute ma compréhension des choses à ce père qui m'a recueillie ! Très tôt, j'ai été habituée à le suivre dans ses digressions philosophiques et à interpréter la vie selon les réalités que le monde nous offre. À l'heure où presque toutes les filles sont troublées par l'illusion, j'ai été amenée à assumer des responsabilités et à travailler. À Massilia, tout ce que nous avions nous l'avions payé cher de nos propres efforts, j'ai donc appris que nous n'atteindrons pas la paix sans excuser les erreurs des autres qui, en d'autres circonstances, pourraient être les nôtres.
Tu ne regrettes pas pour autant l'homme que tu as aimé ? Tu ne le disputerais pas avec une autre ?
Pourquoi ? — a demandé son interlocutrice, sereine. — Le manque de l'autre que je peux éprouver, n'empêche pas le ciel de nie montrer le meilleur chemin. Il serait bon que je puisse partager le bonheur avec mon mari, mais si cette convivialité me contraint à commettre un délit en désaccord avec la rectitude de ma conscience, le bénéfice de l'absence ne serait-il pas plus juste ? Pour ce qui est de disputer les attentions et l'affection d'autrui, je ne crois pas que l'amour puisse faire l'objet d'enchères. L'affection, la confiance et la tendresse, à mon avis, doivent être aussi spontanées que les eaux cristallines d'une source.
Tu ne crois pas, alors, à la survie du bonheur sous d'autres formes ? — Et baissant le ton de sa voix qui s'est faite plus douce, le mari d'Hélène a demandé : Tu ne penses pas que nous puissions construire un nouveau nid dans un nouvel élan de compréhension et de bonheur ?
Livia extrêmement rouge lui a lancé un regard inoubliable et acquiesça :