Читаем Berlin Requiem полностью

Zitla et Wilhelm se sont séparés très vite, en 1931. Une mauvaise année. Le nazisme poussait déjà son mufle dans les rues de Berlin. Par endroits, les arrière-cours empestaient la misère. On vivait dans des tonneaux, on payait le pain avec des brouettes de billets. Dans les rues, rôdaient ces types aux trognes d’hommes de troupe avec leurs brassards à croix gammées. Un air fétide les suivait, rampant dans les rues toutes raides d’hiver.

Furtwängler va jusqu’à la cuisine. Souvent, Zitla laisse un mot sur la table pour donner quelques nouvelles. Il aimerait la voir, ce soir, sentir sa présence électrique, écouter sa voix grave. C’est aussi simple que ça.

Le décor qui l’entoure est comme peuplé de milliers de petits êtres qui lui chuchotent des mélodies, des bribes symphoniques qui se mélangent en une mystérieuse cacophonie. Il en rit presque. On dirait de la musique d’avant-garde, de celle que composent ces jeunes musiciens qui ne respectent plus les règles des anciens. Ceux qui font de la théorie au lieu d’écouter le public, ce puissant souverain. Il a souvent parlé de ça avec Hindemith, sans tomber d'accord.. Furtwängler croit dans le public. Il dit qu’il est tout et ne se trompe pas. Ne pas l’écouter, c’est s’égarer.

Il ouvre son carnet de notes, griffonne quelques mots et réfléchit. Les nazis attaquent Hindemith de toutes parts. La moitié de sa production qu’ils qualifient de bolchevisme intellectuel est interdite. Le compositeur occupe pourtant des fonctions officielles, il enseigne la composition à la Haute École de musique. Goebbels, qui n’en est pas à une contradiction près, a dit de lui, il n’y a pas six mois, qu’il était l’un des plus brillants compositeurs allemands du xxe siècle. Prendre sa défense est un acte politique. Furtwängler s’est juré depuis longtemps de ne jamais faire de politique. Hindemith non plus. Hindemith non plus, il s’en moque. Mais il est marié avec une Juive et il a fréquenté Brecht et Kurt Weill. Furtwängler écrit :

Hindemith ne s’est jamais engagé en politique. Vers quel avenir allons-nous, si les méthodes de dénonciation politique sont appliquées au domaine de la musique ? Plus encore, et cela doit être très clair : nous ne pouvons pas nous permettre de renoncer à un talent comme Hindemith.

Le 25 novembre Wilhelm fait paraître « Le cas Hindemith » dans le Deutsche Allgemeine Zeitung, l’un des plus importants quotidiens d’Allemagne. Un article en réponse aux attaques nazies contre le compositeur. Le ton est offensif, mais il évite de trop froisser les autorités.

Un vrai scandale.

— Furtwängler défend les musiciens dégénérés et enjuivés, tonne Goebbels. Il déshonore le Reich et notre Führer.

Le public se tait. Il ne peut plus prendre parti, dire le fond de son âme. Trop dangereux. Aucun journaliste n’a l’audace de lever le nez. Mais le public sait dire le fond de son âme. À la représentation de Tristan, il applaudit Furtwängler pendant vingt-cinq minutes. Devant Göring et Goebbels et tout l’aréopage en grands uniformes. Une insulte. Göring en parle à Hitler en personne. Dans les jours qui suivent, le chef d’orchestre démissionne de tous ses postes et se retire dans les Alpes bavaroises, dans le calme et la lenteur des journées de neige. Il passe des heures à se promener dans les forêts jusque sur les flancs des montagnes. Il skie et il aime ça. N’être plus celui que tout le monde sollicite pour une faveur ou une autre. Il a commencé à écrire son concerto symphonique pour piano. Dans sa vie, chaque fois que le destin l’entrave, il se tourne vers la composition. La musique lui parle et le console. Avant son départ pour les Alpes, les nazis lui ont retiré son passeport. Il n’y a guère qu’Erich Kleiber qui l’a soutenu en démissionnant de son poste à l’Opéra d’État de Berlin, le Staatsoper Unter den Linden. Kleiber aussi est parti sur les routes de l’exil.

Christa Meister l’a appelé pour le féliciter.

— Ton courage m’a mis du baume au cœur, a-t-elle dit. Je continue de chanter mais je ne sais pas jusqu’à quand.

— J’ai demandé une audience auprès de Goebbels. Je dois tirer tout cela au clair.

— Ils ne peuvent rien contre toi. Mais tu sais pourquoi Göring interdit Mathis der Maler

— Il n’est pas très clair…

— Ne fais pas le naïf. Voyons, Wilhelm, tu connais le livret. C’est l’histoire d’un artiste qui lutte pour pouvoir s’exprimer. Comment veux-tu qu’un nazi tolère ça ! Ce n’est pas d’art dégénéré qu’il s’agit mais de liberté. Ni la musique, ni l’homme ne sont en cause.

— On va jouer la version symphonique.

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