Читаем Berlin Requiem полностью

— Comme je vous l’ai écrit, je ne souhaite plus avoir aucune fonction au sein du Reich. Je veux redevenir un chef libre de diriger comme bon lui semble.

Goebbels s’appuie sur le dossier de sa chaise et croise les mains devant lui.

— Vous avez de la chance, docteur Furtwängler.

— J’ai connu mieux, en matière de chance !

— Ne plaisantez pas. Votre chance, c’est d’être une sorte de trésor national. Notre bien-aimé Führer est très attentif à chacun de vos faits, à chacun de vos gestes. Il ne lui a pas échappé que vous ne faites jamais le salut nazi, par exemple. Je lui ai fait lire l’article que vous avez commis contre nous et donc contre sa personne même. Il ne s’est pas mis en colère comme je pouvais le redouter. Il a pour vous une bien étrange patience.

Goebbels se redresse et plaque sa main sur un maroquin de cuir rouge.

— Cela pourrait ne pas durer. Déjà, vous vous êtes mis à dos le maréchal Göring. Le Reichsführer SS Himmler vous déteste. Dans quel monde vivez-vous, docteur Furtwängler ?

— Le même que vous, monsieur le ministre.

— Je ne pense pas. Il faut être assez peu conscient des réalités de la vie pour venir marchander dans mon bureau votre future carrière.

L’expression qui se fige sur le visage de Goebbels laisse deviner qu’il est prêt à céder quelque chose. De plus en plus, il fait de la musique l’un des piliers de sa propagande, surtout le répertoire des génies du passé : Bach, Mozart, Beethoven ou Brahms, que Furtwängler vénère et qui met de côté la modernité. Il n’ignore pas que le chef n’aime pas les jeunes compositeurs qui veulent déconstruire le romantisme. C’est sans doute le seul point qui les réunit.

— Vous avez voulu abandonner le Berliner, mais vos musiciens vous ont supplié de rester. Votre public aussi. Cet immense public.

Goebbels fixe la fenêtre de son bureau. Il s’est mis à neiger. On entend, au loin, le grondement des moteurs des mécaniques qui percent la ville.

— Pourquoi ne voulez-vous pas reconnaître qu’Adolf Hitler est le seul maître de la politique en Allemagne ?

La question agace Furtwängler.

— Ce serait bien difficile de penser le contraire. Votre Führer est partout et s’occupe de tout.

Une évidence, mais aussi un piège. Le regard de Goebbels s’enflamme.

— Si vous le reconnaissez, j’accède à ce que vous me demandez. Je dois rédiger un communiqué de presse pour clore cette triste affaire. Que décidez-vous ?

— Je reste dans mon pays, mais en échange vous voudrez bien préciser, dans votre communiqué, que je me démets de toutes mes fonctions officielles et que je ne participerai plus à votre politique culturelle.

12

Le 3 mai 1935, à Berlin, Furtwängler dirige un programme consacré à Beethoven dans la salle de la Philharmonie. Le public s’est massé dans la rue. Le printemps est encore frais. Quelques voitures des officiels du régime sont garées en face de l’entrée. Des drapeaux à croix gammées sont fichés au bout de leurs longs capots noirs.

— Mauvais présage, dit Franz Justau, le régisseur du Berliner, en mettant le nez à la fenêtre.

— Pourquoi dites-vous cela ? demande Furtwängler qui doit signer des papiers administratifs frappés de l’aigle hitlérienne.

— Si les seconds couteaux du régime sont en avance, cela signifie que les gros poissons ne vont pas tarder.

— Vous croyez ?

— Aucun doute là-dessus. On aura au moins Göring et Goebbels.

— Je n’ose pas croire que leur patron pointera le bout de sa moustache…

— Qui sait !

Franz Justau n’en dit pas plus mais la chancellerie du Reich l’a prévenu qu’il y a de fortes chances pour que le Führer « honore de sa présence » le concert de ce soir. Il pénétrera dans la salle à la dernière minute, comme toujours, pour soulever un tonnerre d’applaudissements. Mais peut-être changera-t-il ses plans, comme il le fait une fois sur deux.

Furtwängler épingle son stylo dans une poche intérieure de son veston.

— Je vais me préparer.

En descendant jusque dans les coulisses, le chef croise le percussionniste, un jeune musicien à la moustache noire et au regard naïf.

— Comment allez-vous ?

— Bien, Maître. Ma femme vient d’accoucher de notre premier enfant. Une fille.

— Toutes mes félicitations ! Quel prénom lui donnerez-vous ?

— Isolde.

— Ce sera une grande et belle dame alors !

— Merci, Maître. Nous allons donner une magnifique Neuvième ce soir.

— Oui. Je compte sur vous, ne me quittez pas des yeux. Faites trembler les murs de cette vieille maison !

Le percussionniste sourit. Furtwängler lui demande souvent de porter les crescendos des roulements de timbales jusqu’au paroxysme, parfois jusqu’à couvrir tout l’ensemble. C’est selon son humeur. Dans ces moments, il a l’impression d’être seul avec son chef, de communier avec lui, par le seul lien des regards tendus l’un vers l’autre.

Deux musiciens l’attendent devant la porte de la loge.

— Bonjour, messieurs.

— Bonjour, Maître. On aurait aimé vous parler.

Au regard qu’un des deux musiciens jette autour de lui, le chef d’orchestre comprend.

— De qui s’agit-il ?

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