Читаем Berlin Requiem полностью

Christa Meister a eu des positions très dures vis-à-vis du régime, cette « sordide opérette », comme elle l’a déclaré à un grand journal étranger. Elle a refusé de chanter pour l’anniversaire de celui que tous les enfants du Reich, et son fils comme eux, appellent « notre bien-aimé Führer ». Étrange père, au-dessus de tous les autres, dont le visage dur se trouve partout étalé et qui sue en éructant depuis les tribunes.

Hitler avait adoré la voix de Christa. Avant de prendre le pouvoir, il lui avait adressé quelques dithyrambes signés de sa main. Histoire de dire à la cantatrice combien sa voix savait le transporter. Elle avait montré à son fils un de ces mots sucrés, après la prise de pouvoir du NSDAP, le parti du Führer, avec un sourire amer et l’air désemparé d’une femme libre qui doit dire son camp, dans l’immense solitude de la gloire.

Elle a choisi la rébellion, le parti lui a trouvé un grand-père juif, Edgar Rosenberg. Parfait pour la persécution. Christa n’a même pas connu son aïeul. Elle a protesté. Edgar Rosenberg avait été enregistré dans une paroisse catholique de Bavière, mais ce n’était qu’un converti. Elle a écrit à Goebbels qui n’a pas répondu. Des amis bien introduits lui ont dit que son dossier a été transmis à la SS de Himmler. Il faut quitter l’Allemagne au plus vite et tout abandonner.

Rodolphe s’est toujours cru catholique, comme sa mère. Il a fait sa première communion quelques mois avant cette nuit de Cristal. Depuis sa plus tendre enfance, on lui a appris à détester les Juifs. Ses instituteurs parlent d’eux comme des rats, de la vermine ou des poux, c’est selon l’humeur.

Un jour de l’hiver 1933, une pancarte est apparue devant la boutique de Mendelssohn.

Allemand, défends-toi !

N’achète rien chez ce Juif.

Rodolphe était entré dans la boutique du fourreur, la première fois qu’il se retrouvait chez un Juif. Il en avait ressenti une certaine crainte où s’était mêlée de la curiosité. Sa mère venait essayer un beau manteau d’astrakan gris au col en renard argenté. Mendelssohn s’était dit flatté de voir dans son échoppe une artiste aussi célèbre. Il avait des gestes très précis et le regard sévère en piquant des épingles.

— Regardez comme il vous va bien. Avec l’hiver qui approche, il va vous tenir bien chaud.

Christa avait pivoté sur elle-même devant la grande psyché de l’atelier, s’observant de haut en bas.

— Qu’en penses-tu, mon fils ?

— C’est très beau, avait acquiescé Rodolphe, assis sur une chaise paillée et qui ne cessait de scruter le décor qui l’entourait comme pour comprendre un monde secret.

Un mannequin était vêtu d’un paletot en renard roux. Sur des cintres étaient alignés des visons de toutes les tailles.

— Quel est cet animal ? avait interrogé Rodolphe en désignant une écharpe de fourrure délicatement tachetée.

— C’est le plus beau de tous, avait répondu Mendelssohn avec un air mystérieux. Le plus rare. Un lynx de Sibérie. On n’en trouve plus aujourd’hui, hélas. Touchez comme il est doux.

Rodolphe avait frémi en caressant le pelage soyeux et profond que lui présentait le fourreur. Il avait vu des lynx dans les livres d’images que lui faisait lire Eva.

— C’est cruel de sacrifier un si bel animal pour confectionner un vêtement de grand luxe.

Mendelssohn n’avait rien dit, il avait eu une moue un peu chagrine.

— Quand cela sera-t-il prêt ? avait demandé Christa.

— La semaine prochaine. Mardi au plus tard.


Rodolphe remplit une grande valise de cuir. Il laisse des jouets et des livres, abandonne beaucoup d’amour, des lots de secrets et des rêves d’enfant. Il a enveloppé la petite tête dans un grand mouchoir et l’a placée au cœur du bagage, dans une chaussure pour que personne ne la trouve.

— Demain, nous serons à Paris ! s’écrie sa mère. Si tout se passe bien.

Christa prépare ses bagages avec les mêmes gestes nerveux qu’avant un départ en tournée. Un rituel presque banal, mais la tragédie s’en est emparée. Le visage blême, elle ne pleure pas.

— Nous reviendrons, dès que cette engeance sera jetée hors de ce pays.

Rodolphe joue une dernière fois au piano, le Prélude n°1 en do majeur de Bach, le seul morceau qui lui vienne à l’esprit. Sa mère s’arrête soudain et l’écoute, avec ce regard incandescent et fier qui dit qu’un jour il sera sa revanche.

— Joue tant que tu veux, mon Prince. Je vais m’occuper de tout.


Перейти на страницу:

Похожие книги