Читаем Berlin Requiem полностью

Ce mardi 30 novembre est un jour banal. En sortant de sa chambre, vers 10 heures, Rodolphe croise un couple qui est venu prendre les eaux dans un petit établissement thermal non loin de là. À la réception, le facteur vient de déposer le courrier, un employé fait le tri. Une femme de ménage passe un chiffon sur les meubles de style Empire de la salle de restaurant. Une odeur de cire et de térébenthine flotte dans l’air.

— Votre taxi est arrivé, monsieur Meister, lance le réceptionniste.

— Merci.

Ebersteinburg paraît plus calme que d’ordinaire. C’est une journée froide. Il fait beau, mais la météo annonce de la neige pour le soir. Rodolphe sera sans doute parti avant les premiers flocons.

Le soleil d’hiver a des reflets pâles sur la grande façade de la clinique du docteur von Löwenstein. La chambre 8 est à l’extrémité du bâtiment, sur la droite. Les rideaux sont tirés. Rodolphe s’arrête un instant, il a refusé que le taxi remonte l’allée et le laisse devant le perron. Comme chaque jour, il veut faire les derniers mètres qui le séparent de Furtwängler à pied. Un peu comme un rituel qu’on s’impose pour donner plus de sérénité à des événements que l’on sait importants et uniques.

Au milieu de la montée, il s’arrête. Un écureuil, la queue en panache, vient de traverser l’allée avant de grimper follement vers le sommet d’un grand sapin. Une image lui revient. Il est petit garçon, dans le parc de Tiergarten. Eva l’attend un peu plus loin. Il marche en fixant ses pieds et en se racontant une aventure de chevalier qu’il a oubliée depuis. Au sol, il aperçoit un étrange caillou, un galet de silex comme il en existe une infinité sur les chemins, mais celui-ci est particulier : il a la forme exacte d’un cœur. Rodolphe le ramasse, le frotte contre sa manche pour le faire briller et court vers Eva.

— Tiens, lance-t-il avec fierté. C’est pour toi.

Elle est émue en prenant la petite pierre dans ses doigts roses.

— C’est le plus beau cadeau qu’on m’ait jamais fait, Petit Homme. Je vais le garder toute ma vie, comme ça, je pourrai penser tout le temps à toi.


Les rideaux de la chambre 8 sont toujours fermés. Furtwängler doit encore dormir, se dit Rodolphe. Il paraissait à bout de forces, hier. Au loin, la cloche d’une église sonne onze coups cristallins. L’heure à laquelle il a rendez-vous avec le maestro. Rodolphe accélère le pas. Il ne veut pas faire attendre. Ça ne se fait pas. Hier soir, il a appelé sa mère pour lui dire qu’il n’allait plus tarder. Elle paraissait agacée et a juste parlé d’un courrier de l’Opéra national du Danemark qui l’informait que les répétitions de Tristan commenceraient le 20 janvier. Il sera loin d’elle pendant un bon moment, et c’est sans doute pour cette raison qu’elle était contrariée. Christa prend chaque jour comme si c’était le dernier. La solitude la plonge dans une profonde mélancolie.

Des pensionnaires font quelques pas dans les promenades qui traversent la pelouse puis s’arrêtent au soleil, comme des lézards qui ont besoin de chaleur. Une infirmière pousse un fauteuil roulant sur lequel est assise une vieille toute recroquevillée sous une épaisse couverture de laine.

Elisabeth Furtwängler est sortie sur le perron. Elle discute à voix basse avec un médecin, secoue la tête plusieurs fois. Elle a un mouchoir dans la main. Le médecin repart à l’intérieur et la laisse seule. Quand Rodolphe arrive à sa hauteur, elle le fixe longuement. Ses yeux sont rougis, ses mains, nerveuses. C’est une femme forte et fière.

— Il ne vous a pas attendu, murmure-t-elle. C’est fini.

Rodolphe regarde en direction du couloir. Tout au bout, la porte de la chambre 8 est ouverte. Des infirmières entrent et sortent. Il ne veut pas croire que Furtwängler n’est plus. C’est trop violent, comme ça, tout d’un coup. Quand ils se sont quittés, hier, à la nuit tombée, Rodolphe était heureux. Furtwängler a dit :

— Passez me voir demain. J’ai quelque chose de très important à vous dire. Quelque chose de personnel, entre vous et moi.

— Je passerai vous dire au revoir. On aura le temps de discuter, avant que je regagne la France

— Vous partez demain ?

Il y a eu comme un accent d’angoisse dans la voix du maestro.

— Oui, a répondu Rodolphe d’un ton désolé. Je ne peux pas laisser ma mère seule trop longtemps.

— Alors, vous n’irez pas jusqu’à Berlin ?

— Non, non. Pas encore, je n’en ai pas le courage.

Furtwängler a fermé les yeux pour signifier qu’il comprenait. Et puis voilà, les derniers gestes et les derniers regards, on n’en a jamais vraiment conscience parce que la fin n’est jamais concevable sur l’instant. On pense à la vie, rien d’autre, jamais à l’autre versant. Rodolphe a ouvert la porte. Une infirmière est arrivée avec un repas frugal sur un plateau. Il a tenu la porte. L’infirmière l’a remercié d’un beau sourire. Furtwängler lui a fait un dernier signe de la main. Un signe bien faible. Puis la porte s’est refermée. Comme au théâtre quand le rideau tombe.

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