Et c’est au moment où je traverse un couloir que j’avise une ancienne connaissance à moi, assis sur un banc crasseux entre deux gendarmes. Il s’agit de Sidi-l’Arnaque, un malfrat de haute volée dont le véritable blaze est Sirk Hamar. Ce gentilhomme a touché à tout avec brio : vol à la tire pour se faire la pogne, trafic de stups, proxénétisme, attaque à main armée, etc. Son casier n’est plus regardable et flanquerait la migraine à Dillinger. Depuis quelques années il se tient peinard, ayant, selon la rumeur publique, différentes taules du même nom. Quand on est. arabe, le pain de fesse c’est le vrai bâton de vieillesse.
Sirk Hamar me reconnaît parallèlement et m’adresse un petit sourire pas flambard.
— Et alors, ma pauvre guêpe, je lui dis, on s’est fait faire aux pattes ?
Il hausse ses robustes épaules d’oisif bien entretenu par le réveil musculaire.
— C’est une erreur Judiciaire, m’sieur le commissaire.
— Ben voyons ! fais-je. Depuis « Roger-la-Honte » on n’avait pas vu ça.
Et, m’adressant à l’un des pandores qui l’encadrent :
— Il a pas piqué dans le trou du tronc du culte à l’église du coin, je suppose ?
— Oh ! non, m’sieur le commissaire. Ce vilain coco est compromis dans une affaire de faux billets.
Je me cintre.
— Ça manquait à ton palmarès, Sirk, Tu prépares le décathlon, à c’t’heure ? M’est avis que tu vas passer champion dans toutes les disciplines du crime, mon grand.
Il se tasse entre ses deux épaules et ne répond rien. Le gars Moi-même, fils unique et préféré de Félicie, ma brave femme de mère, continue sa route. À l’économat (à noter qu’un économat est un endroit où l’on dépense) on a été affranchis par le Dabe et je reçois des bons en blanc me permettant de faire les emplettes prévues au programme.
Lorsque je fais demi-tour, Sirk Hamar et ses vaillants archers ne sont plus dans le couloir mais dans le burlingue de mon estimé collègue, le commissaire Péver. La porte est restée ouverte et Péver, en m’apercevant, m’adresse un grand geste plein d’estime.
J’entre pour lui serrer la louche. On se dit des trucs importants, dans le style « Comment-ça — va — pas — mal — et — toi — il — fait — beau — aujourd’hui — mais — il — pleuvra — peut-être — demain » et je vais pour continuer inexorablement ma route semée d’embûches lorsque inspecteur-secrétaire de Péver, un grêlé qui tape à la machine avec deux doigts et la langue pendante, commence à procéder à l’interrogatoire de Sidi-l’Arnaque.
— Nom, prénom, date et lieu de naissance ! aboie-t-il.
L’Inculpé, qui a l’habitude de ces petites formalités, annonce la couleur d’une voix morne.
— Hamar, Sirk, Né le 18 mars 1930 à Fiksesh, Kelsaltan.
— Avez-vous bien lu, mes frères ?
Ai-je, quant à moi, bien entendu ?
Du pas indécis d’un somnambule déambulant sur une corde d’étendage, je m’approche de Sirk Hamar.
— Tu es né au Kelsaltan ? croassé-je, car je parle couramment le corbeau moderne et le lis non moins couramment dans les textes de La Fontaine.
— Ouais, articule-t-il, vous connaissez ?
— Ça ne va pas tarder. Tu y as passé combien de temps, dans ce bled, Sirk ?
— Une quinzaine d’années, m’explique-t-il. Ensuite, je me suis embarqué pour Le Caire. De là je suis allé à Marseille, puis enfin ç’a été Paris.
— La remontée vers le nord, plaisante mon très honorable collègue.
Le gars Mézingue n’a point envie de chahuter. Il est bouleversé par les caprices du hasard, votre San-Antonio capiteux, mes loutes.
— Par conséquent, poursuis-je, tu dois parler merveilleusement le kelsaltipe ?
— Puisque c’est ma langue maternelle !
Il a un sourire torve, Sidi-l’Arnaque.
— Mais vous savez, monsieur le commissaire, continue-t-il, si vous avez envie d’apprendre une langue étrangère, choisissez plutôt l’anglais ou l’espagnol, ça vous sera beaucoup plus utile, vu qu’un million de personnes à peine emploient le kelsaltipe.
Je cramponne Péver par une aile et l’entraîne dans le couloir.
— Mon cher Maurice, fais-je, car il se prénomme Henri, j’ai l’impression que je viens de toucher la poule aux œufs d’or !
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Ce serait trop longuet à vous expliquer. Dites-moi, où en est Hamar, du point de vue casier judiciaire ?
Péver fait une grimace que le chef de pub des pilules Pink lui achèterait une fortune.
— C’est plus un casier, c’est une poubelle ! rigole-t-il.
— Il est vraiment mouillé dans l’affaire des faux fafs ?
— Jusqu’à l’os.
— En somme, ça va chercher lourd pour sa pomme, s’il passe aux Assiettes ?
— Il morflera vingt piges de placard sans dégoder, sans préjudice de la relègue !
— Parfait. Vous allez me rendre un service d’ami.
— Je ne demande pas mieux, affirme ce loyal confrère.
— Entreprenez cet arbi, faites-lui le grand jeu pour qu’il se mette à table et décrivez-lui son avenir sous un jour couleur de soufre. Bref, ce que je vous demande, c’est de faire l’abordage de son moral et de le lui mettre en pièces. Il se peut très bien que j’utilise ce malfrat à des fins très louables.