Pour cette raison, le plus grand adversaire de l'âme qui désire suivre le Sauveur, est le monde lui-même.
Tant que l'homme ordinaire reste affairé aux vulgarités et aux inutilités de l'existence terrestre, nul ne prête attention à ses pas. Ses attitudes n'intéressent personne. Néanmoins, si l'herbe tendre de la foi rectificatrice surgit dans son cœur, sa vie devient pour la foule un objet de curiosité. Des milliers d'yeux, qui ne le voyaient pas quand il était égaré dans l'ignorance et dans l'indifférence, suivent à présent ses moindres gestes avec une vigilance soutenue. Le pauvre aspirant au titre de disciple du Seigneur n'est encore qu'une brindille prometteuse et on lui réclame déjà les épis des œuvres célestes ; alors qu'il se trouve bien loin du premier duvet des ailes spirituelles, on exige de lui des vols suprêmes au-dessus des misères humaines.
Beaucoup d'apprentis se découragent et retournent à la boue où les compagnons ne les voient pas.
Le monde oublie que ces âmes anxieuses n'en sont qu'à leurs premiers espoirs, de ce fait, ils affrontent de plus âpres disputes pour briser le cocon des passions inférieures dans leur aspiration à s'élever. Plongée dans la vieille ignorance qui la carac térise, la foule n'appréhende l'homme que dans l'animalité dans laquelle elle se complaît. Si un compagnon prétend s'élever, elle exige bientôt de lui des lettres de créance positives émanant du ciel, oubliant que personne ne peut trahir le temps ou tromper l'esprit de progrès de la nature. Il ne reste guère au chrétien qu'à cultiver ses intentions sublimes et à écouter le Maître : D'abord l'herbe, puis l'épi, puis plein de blé dans l'épi.
103
L'estime du monde
De nombreux disciples de l'Evangile sont jaloux de leurs prédilections et de leurs points de vue au niveau individuel.
De fausses conceptions assombrissent leur regard.
Ils s'inquiètent presque toujours de la reconnaissance publique relative aux vertus qui soulignent leur caractère, ils gardent le désir secret d'obtenir l'admiration de tous et se sentent blessés si les autorités transitoires du monde ne leur confèrent pas leur estime.
Ils oublient que le royaume de Dieu ne se manifeste pas sous des apparences ; ils ne perçoivent pas que, pour l'instant, seuls les êtres qui se distinguent à l'avant-garde dans les domaines financiers ou politiques s'arborent en détenteurs de prérogatives terrestres, maîtres presque absolus des hommages personnels et de brillantes nécrologies.
Les fils du royaume divin s'illustrent rarement et, d'une manière générale, ils remplissent le monde de bienfaits à l'abri des regards, comme cela se produit avec le Père lui-même.
Si Jésus a été traité de sorcier, s'il a été crucifié comme un malfaiteur, ravi à son aimante mission pour être soumis à la poutre humiliante, à quoi ses apprentis sincères ne doivent-ils pas s'attendre, même s'ils sont vraiment dévoués à sa cause ?
Le disciple ne peut ignorer que la permanence sur terre découle du besoin de travail salutaire et non de l'utilisation d'avantages éphémères qui, dans de nombreux cas, annuleraient sa capacité à servir. Si la force humaine a torturé le Christ, elle ne pourra s'empêcher de le torturer aussi. Il est illogique de se disputer l'estime d'un monde qui, plus tard, sera obligé de se régénérer pour obtenir la rédemption.
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L'épée symbolique
D'innombrables lecteurs de l'Évangile sont troublés par ces affirmations du Maître divin, car le concept de paix parmi les hommes depuis de nombreux siècles a été viscéralement vicié. Communément, trouver la paix signifie avoir obtenu des garanties extérieures qui permettent au corps de végéter sans soucis, l'homme peut alors s'entourer de serviteurs, pourrir dans l'oisiveté et s'absenter de l'agitation de la vie.
Jésus n'aurait pu endosser une tranquillité de cette nature, et à l'inverse du faux principe établi dans le monde, il apporta avec lui la lutte régénératrice, l'épée symbolique de la connaissance intérieure par la révélation divine, afin que l'homme entame la bataille de son propre perfectionnement. Le Maître est venu établir le combat de la rédemption sur la terre. Dès son premier enseignement, le front d'un combat dépourvu de sang s'est formé, destiné à illuminer le parcourt humain. Lui-même fut le premier à inaugurer un tel témoignage par des sacrifices suprêmes.
Il y a presque vingt siècles que la terre vit sous ces impulsions rénovatrices, et malheur à ceux qui dorment, étrangers au processus sanctifiant !
Chercher la paix illusoire de l'oisiveté, revient à se dévier de la lumière en fuyant la vie et en se précipitant dans la mort.
Pourtant, Jésus est aussi surnommé le Prince de la Paix.