Me vint le grand exemple des courtisanes et de l'amour. Car si tu crois aux biens matériels pour eux-mêmes tu te trompes. Car de même qu'il n'est de paysage entrevu du haut des montagnes qu'autant que tu l'auras toi-même construit par l'effort de ton ascension, ainsi de l'amour. Car rien n'a de sens en soi, mais, de toute chose, le sens véritable est structure. Et ton visage de marbre n'est point somme d'un nez, d'une oreille, d'un menton et d'une autre oreille mais musculature qui les noue. Poing fermé qui retient quelque chose. Et l'image du poème ne réside ni dans l'étoile ni dans le chiffre sept ni dans la fontaine, mais dans le seul nœud que je compose en obligeant mes sept étoiles de se baigner dans la fontaine. Et certes il faut des objets reliés pour que la liaison se montre. Mais son pouvoir ne réside point dans les objets. Ce n'est ni dans le fil ni dans le support ni dans aucune de ses parties que réside le piège à renards, mais dans un assemblage qui est création, et le renard tu l'entends crier car il est pris. Ainsi moi le chanteur ou le sculpteur ou le danseur, je saurai te prendre à mes pièges.
Et ainsi de l'amour. Qu'as-tu à attendre de la courtisane? Sinon repos de la chair après conquête des oasis. Car elle n'exige rien de toi et ne t'oblige point d'être. Et ta reconnaissance dans l'amour quand tu désires voler au secours de ta bien-aimée, c'est qu'ait été sollicité de toi l'archange qui y dormait.
Ce n'est point la facilité qui fait la différence, car celle-là que tu aimes, si elle t'aime, il te suffit d'ouvrir les bras pour l'y recevoir. La différence réside dans le don. Car il n'est point de don possible à la courtisane, puisque, ce que tu lui apportes, elle le considère d'avance comme tribut.
Et si l'on t'impose le tribut tu discuteras cette charge. Car c'est le sens ici de la danse qui est dansée. Et l'armée qui s'est distribuée le soir dans le quartier réservé de la ville, avec sa pauvre solde en poche, laquelle il faut faire durer, marchande et achète l'amour, comme une nourriture. Et de même que la nourriture la fait disponible pour une nouvelle marche dans le désert, l'amour acheté lui fait une chair calme, disponible pour la solitude. Mais ils sont tous changés en boutiquiers et n'en éprouvent point de ferveur.
Car pour donner à la courtisane il faudrait être plus riche qu'un roi, car ce que tu lui apportes elle s'en remercie elle-même d'abord et se flatte de sa réussite et s'honore soi-même d'être si habile et si belle qu'elle ait tiré de toi cette rançon. Et, dans ce puits sans fond, tu peux verser le chargement de mille caravanes d'or sans avoir commencé de donner. Car il faut quelqu'un pour recevoir.
C'est pourquoi mes guerriers, de la main au dos des oreilles, caressent le soir les renards des sables qu'ils ont capturés, et vaguement éprouvent l'amour, ayant l'illusion de donner au petit animal sauvage, et ivres de reconnaissance s'il vient à se blottir contre leur cœur.
Mais dans le quartier réservé cherche-moi donc une courtisane qui par besoin de toi se serre contre ton épaule?…
Cependant il arrive que l'un de mes hommes, ni plus riche ni moins riche qu'un autre, considère son or comme ces graines que l'arbre désire jeter au vent, car il méprise les provisions, étant soldat.
Et celui-là se promène la nuit autour des bouges dans la splendeur de sa magnificence. Comme celui qui va semer l'orge marche à grands pas vers la terre écarlate qui est digne de recevoir.
Et mon soldat dilapide ses richesses, n'ayant point désir de se les garder, et il est seul à connaître l'amour. Et peut-être bien qu'il le réveille aussi en elles, car il est dansé ici une autre danse et dans cette danse-là elles reçoivent.
Je te le dis, la grande erreur est d'ignorer que recevoir est bien autre chose qu'accepter. Recevoir est d'abord un don, celui de soi-même. Avare non pas celui qui ne se ruine pas en présents, mais celui qui ne donne point la lumière de son propre visage en échange de ton offrande. Avare la terre qui ne s'embellit point quand tu y as jeté tes graines.
Courtisanes et guerriers ivres font quelquefois de la lumière.
LXIV
S'installèrent alors les pillards dans mon empire. Car personne n'y créait plus l'homme. Et le visage pathétique n'y était plus masque mais couvercle d'une boîte vide.
Car ils sont allés de destruction d'Être en destruction d'Être. Et je ne vois rien, désormais, chez eux qui mérite que l'on meure. Donc que l'on vive. Car ce pour quoi tu acceptes de mourir c'est cela seul dont tu peux vivre. Ils consommaient donc les vieilles constructions, se réjouissant du bruit de la chute des temples. Et cependant ces temples, s'ils s'effondraient, ne laissaient rien en échange. Ils détruisaient donc leur propre pouvoir d'expression. Et ils détruisaient l'homme.