Ou bien tel se trompait sur la joie. Car d'abord il avait dit: «Le village.» Et ses résistances et ses coutumes et ses rites obligatoires. Il en était né un village fervent. Après quoi il l'a confondu. Et il a voulu faire sa joie, non d'une structure devenue et lentement pétrie, mais de l'installation dans quelque chose qui fût provision, comme le poème. Et l'espoir est vain.
Ainsi ceux qui ayant regardé l'homme comme grand souhaitaient pour lui la liberté. Car ils ont vu les contraintes brimer l'homme fort. Et certes l'ennemi qui te fonde, en même temps te limite. Mais supprime l'ennemi et tu ne peux même pas naître.
Celui-là aussi a cru à la joie comme donnée par les provisions. Simplement savourer le printemps. Mais n'est que faible la saveur du printemps si tu te fais végétal pour la subir. Comme la saveur de l'amour si tu attends d'un visage qu'il te remplisse. Car l'œuvre qui t'apporte quelque chose est d'abord souffrance et comment saurait retentir en toi le chant des galériens et de l'absence si tu n'as point construit d'abord l'absence en toi par mille déchirements et les galères par l'inexorable de ta destinée?
Celui-là qui longtemps a ramé sans espoir vers l'aube éprouve le chant des galères et celui-là qui eut soif dans le sable éprouve le chant de l'absence. Mais il n'est rien à te donner si tu n'as pas souffert car il n'est personne en toi.
Et le village n'est point ce poème dans lequel tu te peux installer tout simplement dans la chaleur de la soupe du soir et la fraternité des hommes et la bonne odeur du bétail rentré, et te réjouissant du feu de joie sur la place à cause de la fête — car que nouerait la fête en toi si elle ne retentit point sur autre chose? Si elle n'est point souvenir de libération après l'esclavage, amour après la haine, ou miracle dans les désespoir. Tu ne serais ni plus ni moins heureux que l'un de tes bœufs. Mais le village en toi s'est lentement construit et pour atteindre ce qu'il est, tu as lentement gravi une montagne. Car je t'ai façonné dans mes rites et mes coutumes, et par tes renoncements et tes devoirs et tes colères obligatoires et tes pardons, et tes traditions contre d'autres — et ce n'est point ce fantôme de village qui te fait ce soir chanter le cœur — il serait trop facile d'être homme — c'est une musique lentement apprise et contre quoi tu as lutté d'abord.
Mais toi, tu vas dans ce village et ces coutumes, et, de t'en réjouir tu les pilles, car elles ne sont point amusements et jeux, et si tu t'en amuses nul n'y croira plus. Et il n'en restera rien. Ni pour eux-mêmes ni pour toi…
LXV
«L'ordre, disait mon père, je le fonde. Mais non point selon la simplicité et l'économie. Car il ne s'agit point de gagner sur le temps. Que m'importe de connaître si les hommes deviendront plus gras en bâtissant des greniers au lieu de temples et des aqueducs au lieu d'instruments de musique, car méprisant toute humanité ladre et vaniteuse même si la voilà opulente, il m'importe de connaître de quel homme d'abord il s'agira. Et celui-là qui m'intéresse est celui-là qui aura baigné longtemps dans le temps perdu du temple, comme à contempler la Voie Lactée qui le fait vaste, et aura exercé son cœur à l'amour par l'exercice de la prière à laquelle il n'est point répondu (car la réponse payant la prière ferait l'homme plus ladre encore) et en qui aura souvent retenti le poème.
«Car le temps que j'économise sur la construction du temple, lequel est navire qui va quelque part, ou l'embellissement du poème qui fait retentir le cœur des hommes, il faudra bien que je l'emploie à ennoblir plutôt qu'engraisser l'espèce humaine. Et donc j'inventerai les poèmes et les temples.