Et plus je grandis à la façon de l'arbre, plus je me noue en profondeur. Et ma cathédrale, qui est une, est issue de ce que celui-là qui est plein de scrupules sculpte un visage de remords, de ce que cet autre qui sait se réjouir se réjouit et sculpte un sourire. De ce que celui-là qui est résistant me résiste, de ce que celui-là qui est fidèle demeure fidèle. Et n'allez point me reprocher d'avoir accepté le désordre et l'indiscipline, car la seule discipline que je reconnaisse est celle du cœur qui domine, et quand vous entrerez dans mon temple vous serez saisi par son unité et la majesté de son silence, et quand vous y verrez côte à côte se prosterner le fidèle et le réfractaire, le sculpteur et le polisseur de colonnes, le savant et le simple, le joyeux et le triste, n'allez point me dire qu'ils sont exemples d'incohérence car ils sont un par la racine, et le temple, à travers eux, est devenu, ayant trouvé à travers eux toutes les voies qui lui furent nécessaires.
Mais celui-là se trompe qui crée un ordre de surface, ne sachant dominer d'assez haut pour découvrir le temple, le navire ou l'amour et, en place d'un ordre véritable, fonde une discipline de gendarmes où chacun tire dans le même sens et allonge le même pas. Car si chacun de tes sujets ressemble à l'autre tu n'as point atteint l'unité, car mille colonnes identiques ne créent qu'un stupide effet de miroirs et non un temple. Et la perfection de ta démarche serait, de ces mille sujets, de les massacrer tous sauf un seul.
L'ordre véritable c'est le temple. Mouvement du cœur de l'architecte qui noue comme une racine la diversité des matériaux et qui exige pour être un, durable et puissant, cette diversité même.
Il ne s'agit point de t'offusquer de ce que l'un diffère de l'autre, de ce que les aspirations de l'un s'opposent aux aspirations de l'autre, de ce que le langage de l'un ne soit point le langage de l'autre, il s'agit de t'en réjouir, car si te voilà créateur tu bâtiras un temple de portée plus haute qui sera leur commune mesure.
Mais je dis aveugle celui-là qui s'imagine créer s'il démonte la cathédrale et aligne dans l'ordre par rang de taille les pierres l'une après l'autre.
LXXVI
Ne t'inquiète donc point des cris que soulèvera ta parole car une vérité nouvelle est une structure nouvelle offerte d'emblée (et non une proposition évidente dont l'on puisse progresser de conséquence en conséquence) et chaque fois que tu signifieras un élément de ton visage on t'objectera que dans l'autre visage cet élément jouait un rôle différent et d'abord l'on ne comprendra point que tu paraisses et te contredire et contredire.
Mais tu diras: «Voulez-vous accepter de mourir à vous-mêmes, d'oublier et d'assister sans résister à ma création nouvelle? Ainsi seulement pourrez-vous muer, vous étant fermés en chrysalides. Et vous me direz, expérience faite, si vous n'êtes point plus clairs, plus paisibles et plus vastes.»
Car il n'est point de proche en proche, plus que de la statue que je taille, de vérité qui se démontre. Mais elle est une, et ne se voit qu'une fois faite. Et même ne se remarque point car on s'y trouve. Et la vérité de ma vérité c'est l'homme qui en sort.
Ainsi d'un monastère où je t'enferme pour te changer. Mais si tu me demandes, du milieu de tes vanités et de tes problèmes vulgaires, de te démontrer ce monastère, je dédaignerai de répondre, car celui qui pourrait comprendre est autre que toi et je dois d'abord l'appeler au jour. Je ne sais que te contraindre à devenir.
Ne t'inquiète donc point non plus des protestations que soulèvera ta contrainte. Car ils auraient raison ceux-là qui crient si tu les touchais dans leur essence et les frustrais de leur grandeur. Mais le respect de l'homme c'est le respect de sa noblesse. Mais eux ils nomment justice de continuer d'être, même pourris, parce qu'ainsi venus au monde. Et ce n'est point Dieu que tu lèses si tu les guéris.
LXXVII
C'est pourquoi je puis dire qu'à la fois je refuse de pactiser et refuse d'exclure. Je ne suis ni intransigeant ni mou ou facile. Je reçois l'homme dans ses défauts et exerce pourtant ma rigueur. Je ne fais pas de mon adversaire un témoin, simple bouc émissaire de nos malheurs, et qu'il serait bon de brûler en totalité en place publique. Mon adversaire je le reçois entièrement et cependant je le refuse. Car l'eau est fraîche et souhaitable. Souhaitable aussi le vin pur. Mais le mélange j'en fais breuvage pour châtrés.
Il n'est nul au monde qui n'ait point raison absolument. Sauf ceux-là qui raisonnent, argumentent, démontrent et, d'user d'un langage logique sans contenu, ne peuvent avoir ni tort ni raison. Mais font un simple bruit qui, si les voilà qui s'enorgueillissent d'eux-mêmes, peut faire couler longtemps le sang des hommes. Ceux-là donc je les tranche simplement d'avec l'arbre.