J’ai retrouvé la liberté de mon enfance et toute notre énergie s’est concentrée sur un seul objectif : me faire réussir. Je nageais entre quatre et six heures par jour, quelle que soit la météo. J’avais la peau et les cheveux desséchés, et les yeux perpétuellement rougis par le sel. Mon corps n’était plus que muscles endoloris. Le soir, je m’écroulais d’épuisement et je dormais douze heures d’affilée. Pour me protéger du froid, j’ai pris douze kilos en deux mois. Ma prise de poids ne pouvait pas avoir lieu plus tôt, Iris ne l’aurait pas supporté. Il fallait que je grossisse vite. Je ne buvais plus que des boissons sucrées, à raison de trois ou quatre litres par jour. Angélique me les fournissait en se servant dans les stocks du restaurant. J’enchaînais les fast-food et les chips toute la journée, j’avais toujours de la nourriture sur moi. Même la nuit, je mettais mon réveil pour me faire un paquet de Prince ou de BN vers trois heures du matin. Tous les soirs, je redescendais boire de l’huile d’olive au goulot dans la cuisine, comme une alcoolique.
J’ai passé l’été avec Angélique, Morgane et Jasmine à planifier mon départ. Je ne voulais pas qu’on nous voie ensemble. Dans une petite ville comme Bouville, tout se sait, se répète, se déforme et s’amplifie et le salon de beauté d’Iris était par essence le lieu de tous les potins. Je ne pouvais pas me permettre que ma belle-mère apprenne ma réconciliation avec Angélique. J’ai raconté à Julie Durocher, qui ne comprenait pas pourquoi je n’avais plus le temps de la voir, que j’avais un copain, dont je voulais pour le moment garder l’identité secrète. La veille du départ, j’ai volontairement provoqué une violente dispute avec Éric, qui venait de rentrer d’Espagne, au milieu de notre jardin. Pas pour qu’il soit accusé de mon meurtre, aucune de nous n’avait envisagé la tournure qu’ont pris les événements. Mais, puisque j’allais partir, je voulais lui dire ses quatre vérités, et comme j’avais peur qu’il devienne agressif, je l’ai fait à l’extérieur en sachant que les voisins préparaient un barbecue derrière la haie. Juste après notre dispute, je suis rentrée dans la maison en claquant la porte et je suis ressortie dix minutes plus tard par la porte de derrière, la capuche d’un sweat de Benjamin rabattu sur la tête, pour aller chez Jasmine. Personne ne m’a vue. Ses parents étaient en Algérie jusqu’à fin septembre et son frère travaillait de nuit. Les voisins ont entendu l’altercation avec mon demi-frère. Ils m’ont vue rentrer dans la maison, mais jamais en ressortir. Officiellement, c’est la dernière fois que j’ai été aperçue vivante. Lorsqu’il a été interrogé, Éric a commencé par nier s’être disputé avec moi, puis il l’a reconnu. Ensuite, il a affirmé que je n’avais pas dormi à la maison (ce qui était vrai), pour finalement jurer le contraire. Sa panique a été interprétée comme une preuve de culpabilité. Nous n’avions jamais envisagé la possibilité de son arrestation, c’est la veste en daim qui a fait basculer l’enquête.
Nous avons toutes passé la nuit chez Jasmine la veille du départ. Je pensais ne pas arriver à dormir, mais je me suis effondrée à vingt et une heures d’un sommeil profond. Mon corps savait ce qu’il aurait bientôt à affronter, il se préparait. Le lendemain, nous nous sommes rendues sur la plage avant l’aube. Ils annonçaient grand beau depuis une semaine. C’était ma seule chance de voir la côte anglaise tout le long de la traversée. Morgane avait insisté sur le fait que les vagues seraient trop hautes, que je ne verrais plus rien au bout d’un kilomètre, mais il fallait que j’y croie, la chance et l’intuition me conduiraient dans la bonne direction si je perdais le cap, je m’en étais persuadée.
Nous n’avons pas beaucoup parlé. Il n’y avait plus grand-chose à dire. J’ai couvert mon corps de graisse pour me protéger du froid. Angélique a pris une photo de moi avec son appareil photo jetable.
— En souvenir, je te la donnerai la prochaine fois qu’on se voit.
J’ai enfilé mon bonnet de bain et mes lunettes de natation. Jasmine a accroché à ma taille le sac gonflable qu’elle avait préparé. Elle y avait glissé deux bouteilles de Coca-Cola dégazées, une soupe hypercalorique à base de riz et de pommes de terre dans une bouteille en plastique. Des calories liquides, c’est la règle. Entre le froid et le sel, impossible de mâcher quoi que ce soit. Dans une pochette étanche, elle avait glissé une boîte de Doliprane et mes papiers d’identité.
Анна Михайловна Бобылева , Кэтрин Ласки , Лорен Оливер , Мэлэши Уайтэйкер , Поль-Лу Сулитцер , Поль-Лу Сулицер
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