Le 6 février 1934 est une date importante dans l’histoire politique de la IIIe République. La tension politique est à son comble. Plongée dans la crise mondiale, la France voit sa population fragilisée, en particulier ses classes moyennes. L’arrivée de Hitler au pouvoir montre que les bénéfices attendus des sacrifices de la Grande guerre sont définitivement perdus. L’instabilité parlementaire ajoute à la confusion et les scandales politico-financiers accentuent l’exaspération. Une affaire d’escroquerie, connue sous le nom de « l’Affaire Stavisky », met en difficulté le gouvernement et le parlement. Les associations d’anciens combattants et des mouvements antiparlementaires, comme l’Action française monarchiste, se retrouvent dans une manifestation dont le point de convergence est la Chambre des députés. Sur la place de la Concorde, la manifestation tourne à l’émeute. La police ouvre le feu. Le bilan est lourd: 16 morts et plus de 650 blessés. Sans être une tentative de coup d’Etat, la manifestation du 6 février a réveillé les consciences politiques à gauche comme à droite. A gauche, la dynamique de rassemblement est à l’œuvre et aboutira au « Front Populaire », à droite, plusieurs mouvements se radicalisent. Une commission d’enquête parlementaire est créée pour mieux comprendre l’événement et, éventuellement, définir des responsabilités.
« Rapport général fait au nom de la Commission d’enquête chargée de rechercher les causes et les origines des événements du 6 février 1934 », par Marc Rucart, député
Paris, imprimerie de la Chambre des députés, 1934
« Audition sous serment de mademoiselle Supmt, infi
rmière, qui, ayant appris le 6 février 1934, par les journaux du matin, l’organisation d’une manifestation, décida de prêter son aide en cas de besoin après son service. Elle fut bloquée place de la Concorde vers 20h30.(…) La foule refl
uait de la Place de la Concorde en criant: « On tire ! » je vis alors sortir de la foule un homme ensanglanté, soutenu par deux autres (…)Les gardes ont chargé sur les trottoirs et matraquaient la foule. Etaitce des gardes mobiles ou d’autres ? Je ne puis le dire car il ne faisait pas assez clair, et je ne voyais pas la couleur des bâtons. On ne voyait rien. On entendait seulement les cris de la foule: Assassins ! Assassins !
Nous avons donc travaillé jusqu’à 11h45. Nous n’avons reçu aucun blessé par balle. J’ai appris plus tard qu’ils avaient été évacués par les voitures qui sillonnaient la place. Nous n’avons reçu que des blessés par coups de matraques. Les uns avaient le cuir chevelu très décollé; les autres étaient seulement « choqués »; d’autres étaient très affaissés.
(…) A un moment donné nous avons entendu une clameur d’épouvante. On a crié que les matraqueurs étaient entrés dans le restaurant (Weber, rue Royale). Une dame et un vieillard ont été blessés derrière la glace sans tain qui sépare l’entrée de la salle à gauche. C’est dans la salle de droite qu’était l’ambulance. Les consommateurs étaient restés dans la salle de gauche, qui s’était remplie de rescapés de la rue fuyant les matraqueurs et poussant des cris d’horreur. Nous avons constamment travaillé sous les cris: « Assassins ! », « Assassins ! », qui nous apprenaient ce qui se passait au dehors.
(…) La place de la Concorde avait l’apparence très curieuse d’une arène, le sol très brillant, patiné par le passage des chevaux. La place, en même temps, était sombre. L’avenue Gabriel était complètement sombre. Beaucoup de réverbères étaient éteints. Le nombre des lumières avait certainement diminué et celles qui restaient n’avaient plus la même intensité.