A quatre ans de Mai 68, le souffl
e de la contestation n’est pas totalement retombé. Toute une nébuleuse de groupes gauchistes tente de maintenir la flamme de la révolution. A vrai dire, le mouvement s’est émoussé. Les étudiants contestataires ne sont pas parvenus à rallier le monde des ouvriers et des employés sur lequel veillent jalousement un Parti communiste encore puissant et son bras armé, la CGT. La gauche non communiste, elle, est en pleine recomposition. Toutefois, chaque soubresaut de la société est l’occasion pour ces groupes qui se réclament de Trotsky, de Lénine ou de Mao, de démonstrations politiques. En ce début des années 1970, c’est le mouvement maoïste de la Gauche prolétarienne, la « GP », qui semble le plus apte à incarner « la cause du peuple ». La Cause du Peuple est même son organe de presse, fondé en 1968 par un étudiant en architecture, Roland Castro. Les « maos » croient en la révolte généralisée, spontanée, créatrice, qui doit submerger le pays. Il faut l’aiguillonner par des militants décidés, rompus à l’action clandestine et qui ne reculent pas devant la violence. Ils bénéficient du soutien des intellectuels comme Sartre ou Michel Foucault. Ils sont aussi présents dans les usines, « à l’établi », pour être au contact des ouvriers. La mort tragique en février 1972 d’un des leurs, Pierre Overney, devant les usines Renault à Billancourt procure un martyr à la GP et un élan de sympathie, mais montre aussi les limites du mouvement: les ouvriers n’ont pas bougé. Dans le Nord, les « maos » sont dans les usines de Valenciennes, sur les chantiers de Dunkerque, où ont lieu des sabotages. En 1972, c’est Serge July qui est le responsable régional de la GP. A Bruay, le maillage est modeste mais efficace. Un jeune professeur de philosophie, François Ewald, et son épouse relaient la propagande; un ancien mineur, Joseph Tournel, assure le lien avec la base ouvrière. Le meurtre de Brigitte Dewèvre et l’inculpation de Pierre Leroy ne devaient pas laisser indifférent la petite cellule révolutionnaire. Très vite, ils occupent le terrain, suscitent des rassemblements, font circuler des pétitions et récoltent « la parole de la colère ouvrière ». Ils apportent un soutien, un peu encombrant, au juge Pascal. Ils dénoncent « la justice de classe » et promeuvent la justice « populaire », comme deux ans auparavant, à Lens, où un tribunal improvisé par la GP avait jugé symboliquement la compagnie des Houillères, rendue responsable d’une explosion dans la mine en février 1970, tuant 16 ouvriers.A Bruay, les esprits sont à vif. Si l’exaspération gagne du terrain c’est parce que l’affaire s’enlise. Les reconstitutions ne donnent pas d’éléments nouveaux. Des témoins surgissent sans grand résultat sinon celui d’introduire un peu plus de confusion. Les lettres anonymes inondent le bureau du juge Pascal, qui attend les aveux du notaire et de sa maîtresse, faute de preuves matérielles. On fouille dans la vie privée de Pierre Leroy, on lui prête une vie nocturne peu compatible avec son état. Sa fortune personnelle est rendue publique: un relai de chasse et un voilier dans le port du Touquet. Sur le muret de la maison de Monique Mayeur, des « maos » ont peint: « Arrêtez la coupable », « Bourgeois cochons ». Dans la Cause du Peuple
, s’étale ce titre « Le crime de Bruay: il n’y a qu’un bourgeois pour avoir fait ça ». Pour le journal maoïste, le crime de classe est validé, celui du bourgeois pervers qui abuse des enfants du prolétariat. A l’autre bord, l’hebdomadaire Minute évoque « Bruhaine-en-Artois ». Des cailloux sont lancés contre la maison Mayeur. Des manifestations mobilisent plusieurs pelotons de CRS. La France est coupée en deux.