En fait, les forces progressistes — bourgeoisie et masses populaires — étaient déjà assez vigoureuses pour faire pencher la balance au profit du progrès économique et politique en appuyant le gouvernement dans sa lutte contre les tendances séparatistes et réactionnaires. Mais c'étaient des processus profonds et latents pour la plupart des contemporains. Les réalités quotidiennes — guerres civiles, insurrections des huguenots, soulèvements populaires — donnaient plutôt l'impression de l'instabilité politique et de l'insécurité générale. Cette impression semblait être d'autant plus fondée que la situation économique restait précaire et que les finances publiques étaient dans un état déplorable. La bourgeoisie exigeait des mesures protectionnistes plus strictes, la misère du peuple était manifeste, les révoltes semblaient imminentes. Le gouvernement s'efforçait de parer tant bien que mal, à ces difficultés, mais ses efforts restaient presque vains principalement à cause des charges nécessitées par les guerres civiles et la Guerre de Trente ans.
Ces phénomènes invitent l'historien à dépasser les frontières d'un seul pays et d'étudier le développement du capitalisme en France conjointement avec l'examen de la situation économique de l'Europe en général. Ce point de vue est d'autant plus nécessaire que, de nos jours, dominent des théories fort intéressantes sur le complexe des phénomènes propres au continent entier, — théories de la «crise générale du XVIIe siècle». La place réservée à la France par les auteurs de cette conception est toute particulière puisque le retard («la crise») de l'évolution capitaliste s'y était produit d'une manière évidente sans anéantir toutefois le fondement économique de la bourgeoisie.
L'évolution capitaliste de la France pendant la période examinée était fortement influencée par le capitalisme des pays voisins, principalement de la Hollande et de l'Angleterre. Ces trois Etats progressaient vers la société bourgeoise non seulement chacun à sa manière — ce qui est bien connu — mais à un rythme fort différent, qu'on ne prend pas habituellement en considération pour des périodes de courte durée. La France des années 1610–1629 offre sous ce point de vue un exemple d'importance.
Du niveau différent que le capitalisme atteignit alors dans ces pays résultait une grande différence de leurs forces économiques et politiques tendant à la prépondérance commerciale sur les marchés tant européens que mondiaux. Les intérêts économiques de ces puissances (y compris l'Espagne, dont le déclin économique n'empêchait pas d'être encore un Etat européen et colonial de premier rang) s'enchevêtraient étroitement avec leurs actions politiques. L'économie commençait déjà d'orienter, dans une certaine mesure, la lutte des Etats européens vers l'hégémonie politique en Europe même. Un des problèmes les plus urgents était la conquête des marchés extérieurs, d'une importance extrême pour les manufactures de cette époque. Les marchés des pays voisins offraient des chances à l'enrichissement plus facile et plus efficace. Mais ces avantages s'acquéraient en général aux dépens de l'économie de ces voisins. Les Hollandais s'enrichissaient en exploitant les marchés d'Espagne et surtout de France, causant de grands dommages à l'industrie ainsi qu'au commerce français et nuisant au développement capitaliste de la France. Les Anglais s'enrichissaient aux dépens de l'Espagne et partiellement de la France, les Français — au dépens de l'Espagne et de l'Allemagne. Le fait est bien significatif: des mesures protectionnistes, prises par Olivarès durant les années 1620, ont porté un grand dommage aux intérêts des marchands et des manufacturiers français. Si le gouvernement espagnol avait pu continuer cette politique de prohibitionnisme, fermant aux marchandises françaises les marchés espagnols et américains, les pertes des Français auraient été encore plus grandes.
Les efforts pour conquérir les marchés voisins s'accompagnaient d'une politique tendant à gagner la prépondérance commerciale sur tous les marchés européens ainsi que sur ceux du Proche-Orient. La lutte en vue d'acquérir ces marchés lucratifs est manifeste dans les conflits internationaux, surtout dans la Guerre de Trente ans. Et après une vingtaine d'années survinrent les guerres purement «commerciales» (anglo-hollandaises, franco-hollandaises, franco-anglaises etc.).