Il est vrai que l’ayant si mal défendu en présence de V. M. j’ai en quelque sorte perdu le droit de l’exprimer. Mais daignez Vous souvenir, Sire, que mon défaut de logique d’alors ne doit pas m’être importé, et que le seul moyen de rétablir l’équilibre dans la force des raisons est que Vous veuillez bien plaider Vous-même ma cause. Quelque importance que j’accorde à son succès, j’en attends la décision avec une sérénité qui me fait sentir d’une manière nouvelle le bonheur de Vous avoir voué tout mon être.
Puisse cette assurance Vous causer une partie des délices qu’elle me cause!
Parrot
9. G. F. Parrot à Alexandre IER
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Sire,
Jusqu’à présent j’étais le débiteur de l’Université de Dorpat pour le bonheur inexprimable d’être connu de Votre Majesté impériale. Aujourd’hui je m’acquitte envers elle; je m’expose à perdre ce dont j’espérais les plus douces jouissances pour le reste de mes jours, en osant parler encore pour quelques-uns des points, que Votre Majesté impériale veut modifier dans l’acte de fondation de l’Université de Dorpat1
.Sire, tout intéressé que je paraisse dans cette cause, aurais-je pu ne pas sentir dans les remarques de Votre Majesté le principe de justice, que Vous m’avez dévoilé, que j’honorerais dans un particulier, et qui en Vous, Monarque de la Russie, m’arrache les hommages les plus purs? Oui, je le reconnais et le sens; mais je sens en même temps, que nous souffririons, injustement, de quelques-unes des applications que Votre Majesté veut en faire.
D’abord, Sire, Vous ne voulez pas paraître être le fondateur de notre Université. J’en conçois la raison; mais c’est par cette raison même que je réitère notre prière. La gloire de Sa Majesté l’Empereur défunt est intéressée à ce que l’état présent de notre Université ne soit regardé que comme provisoire2
. Ses vues étaient certainement bonnes; mais il a eu le malheur d’être méconnu à cet égard. On crut que le seul moyen d’obtenir quelque chose était de demander peu, et l’établissement entier devint mesquin à tous égards, indigne, par conséquent, d’un grand Prince. Ainsi, Sire, en déclarant que notre état présent n’était pour ainsi dire qu’un essai, en Vous déclarant notre vrai fondateur, Vous apprenez à l’Europe que Votre auguste prédécesseur ne regardait Lui-même pas son ouvrage comme achevé. Oserais-je ajouter à ces raisons l’expression de vœu ardent de chacun de nos Professeurs? Sire! nous avons déjà apporté un grand sacrifice à la délicatesse des circonstances en ne priant pas Votre Majesté de nous donner Votre nom auguste, grâce, que tout Monarque accorde d’ailleurs à l’Université qu’il fonde.Permettez, Sire, que je joigne, sous le même point de vue, le refus de Votre Majesté d’être notre Protecteur et Chef Suprême[701]
à la remarque sur le rang du recteur, quelque différents que soient ces deux objets. Ils ont cela de commun qu’ils regardent l’un et l’autre l’honneur de l’université.Ce refus de porter le titre de notre Protecteur est sûrement un sacrifice que Votre Cœur bienfaisant apporte à Votre raison, qui ne veut pas se départir du principe de l’égalité des droits qu’ont tous Vos sujets à Votre personne sacrée. Mais ce titre ne donne pas des droits particuliers. Il n’a d’autre effet que de nous honorer, et sous ce vrai point de vue il n’est ni un privilège injuste ni un reste de coutumes barbares3
. C’est une preuve simple et authentique que Votre Majesté veut qu’on respecte les lettres. Et, Sire, cette déclaration serait-elle inutile de nos jours et surtout aux yeux de Vos sujets? La littérature a-t-elle acquis le degré nécessaire de considération? —Les souffrances de nos professeurs déposent contre la génération présente, et nous ne pourrons pas former les générations futures sans un degré proportionné de considération. Je puis le dire sans craindre d’être accusé de partialité: le corps de nos professeurs mérite à tous égards une estime marquée. Il se distingue par des vertus inconnues aux universités étrangères, et ces vertus n’ont cependant pu vaincre le préjugé: preuve qu’il faut les soutenir par des distinctions extérieures.