Les critiques demandent sous quelle forme Dieu se montrait à Adam, et plus tard à Caïn, aux patriarches, aux prophètes, à tous ceux auxquels il parla de sa propre bouche. Les tonsurés répondent qu’il avait une forme humaine, et qu’il ne pouvait se faire connaître autrement, ayant créé l’homme à son image. On réplique que la religion israélite ressemble alors singulièrement, sur ce point essentiel, à toutes les religions que les prêtres catholiques flétrissent du nom de paganisme; les anciens Romains, qui avaient adopté les croyances des anciens Grecs, ne comprenaient, eux aussi, la divinité que sous un aspect humain. Cette remarque fait ajouter: au lieu que ce soit Dieu qui ait fait l’homme à sa ressemblance, ne serait-ce pas plutôt l’homme qui aurait imaginé Dieu à sa propre image? Mais n’insistons pas; car loger une telle opinion dans sa cervelle, c’est se vouer aux flammes de l’enfer. Rappelons seulement cette malicieuse réflexion d’un philosophe: si les chats s’étaient fabriqué des dieux, ils les auraient fait courir après les souris.
Des détails, tels que ceux de la promenade de Dieu dans le jardin d’Eden, montrent péremptoirement qu’il ne s’agit en aucune façon d’une allégorie mystique; tout le récit de l’auteur sacré est dans le style d’une histoire véritable.
«9. Et l’Eternel Dieu appela Adam, et lui dit: Adam, où es-tu?»
Il était piteux et confus, messire Adam, et sa femme aussi n’en menait pas large. Ils essaient de s’esquiver, ils se cachent; mais, je t’en fiche! comment échapper au regard divin qui plane sur tout?… En vain les infortunés s’efforcent-ils de dissimuler leur personnalité aux regards du Très-Haut; derrière eux, partout, retentit le terrible appel du Seigneur, parlant en maître puissant, sévère, et s’apprêtant à punir son serviteur, son esclave, qui lui a désobéi.
Pas moyen de se tirer de ce mauvais pas; ils sont pincés; il va leur falloir avouer la faute commise. Penauds, ils balbutieront de mauvaises excuses.
«10. Adam répondit: Seigneur, j’ai entendu ta voix dans le jardin, et j’ai craint, parce que j’étais nu, et je me suis caché.»
Les voilà donc devant le patron, devant ce Dieu qui connaît l’avenir, qui avait prévu l’accident du serpent et de la pomme, et qui se fâche comme s’il ne s’était douté de rien, comme si ce qui vient d’arriver ne s’était pas produit de par son omnipotente volonté. Adam et sa femme ne songent pas à cela dans leur émoi; ils vont tenir le langage des écoliers pris en faute: — M’sieu, ce n’est pas moi qui ai commencé; c’est elle! — M’sieu, je ne le ferai plus, tant je suis chagrine… Ah! non, pour sûr, je ne recommencerai pas, vous pouvez m’croire!…
«11. Et Dieu dit à Adam: Qui t’a appris que tu étais nu? Il faut que tu aies mangé de ce que je t’avais défendu de manger.
12. Et Adam répondit: La femme que tu m’as donnée pour être avec moi m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé.
13. Et Dieu dit à la femme: Pourquoi as-tu fait cela? Et la femme répondit: Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé du fruit.»
Maintenant, maître Elohim va distribuer les punitions. Il procède par ordre, et c’est celui qui a été le premier coupable qui écoppera le premier. Attention!
«14. Alors l’Eternel Dieu dit au serpent: Parce que tu as fait cela, tu seras maudit entre tous les animaux et bêtes de la terre; tu marcheras sur ton ventre désormais, et tu te nourriras de terre tous les jours de ta vie.
15. Et je mettrai des inimitiés entre toi et la femme, entre tes enfants et les enfants de la femme; ils chercheront à t’écraser la tête, et tu chercheras à les mordre au talon.»