Ce châtiment infligé au serpent prouve, sans réplique possible, que les curés sont des blagueurs, quand, avec leur manie de fourrer le diable partout, ils attribuent la tentation de la femme au démon ayant emprunté ce jour-là la forme du reptile, à ce Lucifer-Satan dont les prétendues révolte et défaite ne se trouvent inscrites dans aucun des livres de la Bible. Si Satan était le coupable, Dieu évidemment lui aurait ordonné de réintégrer illico son domicile infernal et lui aurait octroyé un supplément de supplice dans le séjour des ténèbres.
Or, la punition de la tentation atteint, uniquement et exclusivement, le serpent en tant qu’animal et bête de la terre. D’après le verset 14 du chapitre 3, il est à croire que ce donneur de conseils perfides était auparavant un animal pourvu de pattes; et c’est bien à lui que Dieu coupa ce jour-là les pattes, puisqu’il le condamna à ramper désormais, — châtiment qui serait des plus injustes, si cette bête n’avait été pour rien dans l’affaire. — Supposez que l’abbé Garnier se déguise un beau matin en honnête homme, qu’il prenne le costume et se fasse la tête du papa Ruel, qui est un philanthrope, et qu’il aille ensuite sous ce nom commettre des escroqueries; que se passerait-il lorsqu’il serait enfin coffré, démasqué et traduit en correctionnelle? le tribunal condamnerait-il à l’amende et à la prison le brave papa Ruel? Non, certes! il prononcerait sa sentence contre le véritable escroc, il appliquerait son jugement au Garnier, c’est clair.
Les tonsurés feront donc bien de renoncer à leur conte bleu de Lucifer tentateur de la première femme; cette blague-là ne tient pas debout. Ou autrement, vu le texte sacré, s’ils veulent la maintenir quand même, il faut dire que le diable a été plus malin que le seigneur Jéhovah, et que celui-ci, complètement ramolli, n’a vu que le serpent dans toute cette affaire, n’a pas aperçu le moindre bout de corne de Lucifer, et a privé de pattes l’innocent serpent. Mon vieux Léon XIII, tire-toi de là!
A vrai dire, à quelque point de vue qu’on envisage cet extravagant épisode, il faut reconnaître que le fumiste Esprit-Saint s’est encore moqué du pieux auteur qui écrivait sous sa dictée. S’il est vrai que les enfants de la femme, les humains, ont une aversion générale pour les serpents, s’il est vrai qu’en cas de rencontre les uns cherchent assez volontiers à écraser la tête de ceux-ci, qui de leur côté se défendent ou attaquent en cherchant à mordre au pied ou à la jambe ceux-là, par contre il est une peine portée par Dieu contre les serpents, qu’ils n’ont jamais subie: les serpents ne se nourrissent pas de terre, jamais, au grand jamais. Cette sentence a donc été éludée, à moins que Jéhovah n’ait déclaré la loi Bérenger applicable sur ce point; auquel cas, la Bible a oublié de mentionner ce sursis indéfini.
Mais, pour savourer la mystification de l’Esprit-Saint dans toute sa joyeuse moquerie à l’égard des crédules dévots, il faut considérer l’étendue immense du châtiment infligé au serpent. Quel était exactement l’ophidien tentateur? La Bible ne précise pas; mais peu importe: il est évident que ce ne pouvait être à la fois une vipère et une couleuvre, ou un boa et un crotale; les espèces d’ophidiens qui vivent sur notre globe sont fort nombreuses. Admettons que ce soit la couleuvre qui ait provoqué au péché Madame Adam; admettons même, si l’on veut, que le châtiment de la couleuvre soit raisonnable en s’étendant à la postérité de cette espèce, et que toutes les couleuvres de l’avenir soient logiquement privées de pattes pour expier la faute de celle de l’Eden… Or çà, si la femme n’avait pas réussi à entraîner l’homme dans sa désobéissance, elle seule aurait été punie, n’est-ce pas?…
Eh bien, pauvres serpents! la couleuvre seule fut coupable; mais voilà que, du même coup, l’aspic, le naja, le serpent à sonnettes, le céraste, l’orvet, la vipère, le python, le cobra-capello, le rouleau, l’élaps, l’erpéton, le bothrops, le fer-de-lance, l’atropos, l’hypnale, le rhodostoma, l’humbroni, le bongare, le psammophis, l’eunecte mangeur-de-rats, l’oxyrope, le boa constrictor, le molure, et leur postérité, ont perdu leurs pattes et rampent à jamais, malgré leur incontestable innocence!…
«16. Dieu dit ensuite à la femme: Je multiplierai tes misères et tes grossesses; et tu enfanteras dans la douleur; et tu seras sous la domination de ton mari.»
A l’unanimité, les commentateurs sont d’avis que les peines de cette sentence visent non seulement Madame Adam, mais toutes les femmes jusqu’à la fin du monde.