— Cette forme, à quoi ressemblait-elle ? demanda calmement Arthur en suivant Cathy des yeux.
Sous sa couverture, Emma continuait à grelotter.
— Je... Comment expliquer ? Il faisait la fin de la nuit. Je... J’ai pas vu grand-chose... Une espèce de... large forme poilue. ... Comme une fourrée...
— Une fourrure... Et son visage ?
— Je... Je n’ai pas eu le temps... Il y avait... ces griffes monstrueuses... Elles ont déchiré l’air, d’un coup ! Aussi grandes... que ma main !
Elle finit par s’écraser sur une chaise. Ses bras pendaient entre ses jambes.
Cathy se planta devant elle.
— Emma ! Emma ! Il faut nous raconter ce que c’était ! Un animal ? Un ours ? Emma ! Vous vous rappelez ce que vous avez vu, bon sang !
Emma secoua la tête.
— Je... Je sais plus, je sais plus... J’étais très fatiguée. Il faisait noir. Non, pas un ours... Il n’y en a pas dans cette forêt... Je... Tout est trouble sous ma tête. Je... Je suis désolée...
Cathy saisit la couverture et se mit à la serrer de toutes ses forces, à la limite de l’étranglement. Adeline se précipita sur elle.
— Il faut que tu te calmes, OK ? lui ordonna-t-elle en la repoussant. Ton mari est en voiture, à l’abri, et il va revenir ! Quel que soit l’animal qui a attaqué Emma, il n’a pas pu rester sur place !
Elle aurait souhaité avoir un ton plus convaincant, mais elle n’y parvenait pas. Cathy ne se contrôlait plus. Arthur lui prit la main, qu’il écrasa assez durement.
— Ressaisissez-vous ! D’accord ? Et allez donc chercher quelques vêtements pour notre amie ! Nous discuterons de cette histoire au calme, devant un bon repas, quand David sera de retour. Je suis persuadé qu’il ne va plus tarder. Il doit y avoir une explication logique derrière tout cela.
— Une explication logique ! Oui, une explication logique ! hurla Cathy en disparaissant dans le couloir. Dès que David reviendra, on foutra le camp d’ici ! Je ne veux plus jamais entendre parler de vous, ni de votre putain de Bourreau !
Arthur la regarda s’éloigner, l’auriculaire se promenant sur le bras de son fauteuil.
— Et vous, Emma, retournez vous coucher. Ce n’est pas raisonnable de rester ainsi debout. Vous avez besoin de repos.
Restée seule à ses côtés, Adeline prit le vieil homme à partie.
— J’ai besoin de savoir ce qui se passe !
— C’est-à-dire ?
— Les portes épaisses, les verrous partout, les vitres, quasiment blindées ! Et ce fusil, au-dessus de la cheminée ! Une arme de portée énorme, et qui a servi il n’y a pas longtemps ! Et maintenant, ce délire, avec une bête aux griffes démesurées ! Tu... Tu as raconté que tu finançais ce... ce programme morbide ! Tu dois forcément savoir !
— Une arme de portée énorme ? Tiens, tiens ! Je ne savais pas que tu t’y connaissais en fusils ! Tu sais, il y a deux choses qui transforment un objet quelconque en objet traumatique : son utilisation perverse contre soi ou... à l’encontre de quelqu’un...
Adeline sentit ses poumons se contracter. Une seule solution. Contrôler sa respiration. Et contre-attaquer.
— Ne retourne pas mes questions contre moi ! Réponds !
Arthur la jaugea d’un œil mauvais.
— Je te conseillerais vivement de changer de ton !
— Qu’est-ce que tu vas faire ? Me virer ? De toute façon, je crois que notre petite aventure est terminée ! Les Miller vont mettre les voiles ! Tu as vu l’état de Cathy ?
Elle absorba sa Ventoline, juste devant son nez. Il la fixa, avant de retrouver son rictus malsain.
— Voilà l’Adeline que j’aime ! Féroce, presque chienne...
— Arrête ! Réponds, s’il te plaît !
Arthur se déplaçait à présent dans la cuisine, comme indifférent au drame qui se nouait autour de lui.
— Que crois-tu ? Que financer un projet revient à suivre ce qui s’y déroule au jour le jour ? J’ai pour volonté de lutter contre le crime, avec ce qu’il me reste, c’est-à-dire mon argent. Je veux uniquement des résultats, des courbes, des chiffres exploitables. Le reste, je m’en fiche complètement ! Ce n’est pas moi qui vis dans ce trou, je ne contrôle ni l’existence, ni le quotidien des entomologistes. Alors ces verrous, ce fusil, qu’est-ce que j’en sais ?... Les scientifiques traquent-ils le gros gibier ? Certainement ! La chasse est un loisir appréciable, ici. Craignent-ils les vols en leur absence ? Tu as remarqué qu’il n’y avait plus de volets, à l’extérieur ? Qui les a embarqués ? En tout cas, crois-moi, ces verrous ne me paraissent pas superflus, ne serait-ce que pour éviter les irruptions intempestives de Franz.
Il lui tendit la main. Après un imperceptible mouvement d’hésitation, Adeline lui donna la sienne, qui tremblait. Il l’embrassa du bout des lèvres.
— Mon abricot... chuchota-t-il.
— Tu sais... Franz... Maintenant que tu me reparles de lui...
— Oui ?
— II... Il nous avait déposé deux lapins dépecés, hier matin, à l’abri à bûches ! J’avais décidé de les jeter dans le torrent, mais avec Cathy, on a fait demi-tour avant de l’atteindre. Du coup, on les a laissés dans la poudreuse, peut-être pas assez loin d’ici !
— Aïe ! Le genre d’erreur qu’il valait mieux éviter. Je vous avais pourtant prévenues.